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Havelock Ellis - Études de psychologie sexuelle
Éd. Mercure de France 1964 (1°éd. 1935) - Huit volumes

H. Ellis, médecin anglais, né en 1859 et décédé à 80 ans en 1939, a accumulé les observations sur les coutumes et les moeurs, études biologiques, psychologiques, culturelles. Il s'est attaché aux aspects conscients de la sexualité alors que Freud - qu'il a connu - débusquait l'inconscient après Charcot. Beaucoup de faits relevés ont disparu de nos jours mais expliquent certaines idées culturelles et le comportement des personnes âgées nées avant 1935.

 L'odorat

L'odorat chapitre I - L'odorat - chapitre II - L'odorat - chapitre III - L'odorat - chapitre IV  - L'odorat - chap.V et VI  

Tome II - Chapitre I  images/logoPdf8k.jpg6  pages,
Les notes de bas de page ont été incluses dans le texte. 
NDA = note de l'auteur en 1935 ; NDÉ : note de l'éditeur en 1964

« Le caractère primitif de l'odorat. Le siège anatomique des centres olfactifs. - La prédominance de l'odorat chez les mammifères inférieurs. Son importance moindre chez l'homme. - L'attention des sauvages pour les odeurs.

Le premier sens organisé qui relève de la sensibilité diffuse de la peau est sans doute le plus souvent celui de l'odorat. Au début, la sensibilité olfactive n'est pas clairement séparée de la sensibilité tactile en général ; l'épithélium épaissi et cilié ou les antennes très mobiles, qui, chez plusieurs animaux inférieurs, sont sensibles aux stimuli odorants, sont de la même façon extrêmement sensibles aux stimuli tactiles. C'est le cas chez l'escargot, où en même temps la sensibilité olfactive paraît être répandue sur le corps entier (Emile Yung, Le Sens olfactif de l'escargot - Helix pomata - Archives de psychologie, 1903). Le sens de l'odorat se spécialise graduellement, et lorsque le goût commence aussi à se développer, ils constituent une espèce de sens chimique. Mais lorsque nous montons l'échelle zoologique, l'organe de l'odorat augmente rapidement en importance. Chez les vertébrés inférieurs, lorsqu'ils commençaient à vivre sur la terre ferme, il semble que le sens de l'odorat ait été la partie de leur équipement sensuel qui se montra la plus utile sous les conditions nouvelles, et qui se développa avec une rapidité étonnante. Edinger trouve que, dans le cerveau des reptiles, «l'area olffactoria » a une extension énorme, qui couvre même la plus grande partie du cortex. Toutefois, il se peut que Herrick ait raison, lorsqu'il remarque que l'odorat est prépondérant, mais qu'il n'est pas cependant justifié d'attribuer une valeur olfactive exclusive aux activités cérébrales des Sauropsides ou même des Ichtyopsides.

En tout cas, l'odorat est certainement le plus développé des sens chez la plupart des mammifères ; il donne la première information sur les objets à distance qui intéressent ces animaux ; il donne l'information la plus précise sur les objets du voisinage qui leur importent ; c'est par ce sens que la plupart des opérations mentales des animaux doivent débuter, et que leurs impulsions émotionnelles atteignent à la conscience. Chez les singes, ce sens a perdu beaucoup de son importance; chez l'homme il est devenu presque rudimentaire, cédant la place à la suprématie de la vue.

Le professeur G. Elliot Smith, une grande autorité pour l'étude du cerveau, a bien résumé les faits concernant la prédominance de la région olfactive dans le cerveau des mammifères, et ses conclusions méritent d'être citées. Il faut noter d'abord qu'Elliot Smith divise le cerveau en rhinencephalon et néopallium. Le premier mot désigne les régions dont la fonction est olfactive d'une manière prépondérante le bulbe olfactif, son pédoncule, le tuberculum olfactorium, le locus perforatus, le lobe piriforme, le corps paraterminal, et la formation hippocampale tout entière. Le néopallium est la partie dorsale du cerveau, avec les régions frontales, pariétales et occipitales, comprenant toute la partie du cerveau qui est le siège des activités associatives supérieures et qui atteignent leur développement le plus complet chez l'homme.

« Chez les mammifères inférieurs, les régions olfactives forment de beaucoup la partie la plus importante de l'hémisphère cérébral, ce qui n'est pas surprenant si on réfléchit que, dans le cerveau primitif, la partie de devant est pour ainsi dire un appendice essentiel de l'appareil de l'odorat. Lorsque l'hémisphère cérébral arrive à occuper une position tellement dominante dans le cerveau, il est peut-être tout naturel de trouver que le sens de l'odorat est la source d'information la plus influente et principale de l'animal. Peut-être serait-il plus exact de dire que le sens olfactif, qui transmet à l'animal des informations générales sur sa proie qu'aucun autre sens ne pourrait fournir (si la proie est près ou loin, si elle est cachée ou exposée), est la plus utile de toutes les sources d'information pour le mammifère inférieur qui mène une vie terrestre, et que, pour cette raison, ce sens devient prédominant, tandis que son domaine particulier, le devant du cerveau, devient la portion dominante du système nerveux.
Cette prédominance primitive du sens de l'odorat persiste chez la plupart des mammifères (sauf là où un mode de vie aquatique intervient comme chez les Cétacés, les Siréniés, les Pinnipèdes), même si un large néopallium se développe qui recoit et déverse dans le devant du cerveau des impressions visuelles, auditives, tactiles et autres. Ce n'est que chez les anthropoïdes, parmi les mammifères non aquatiques, que les régions olfactives subissent la diminution absolue (et non relative comme chez les Carnivores et les Ongulés qu'on observe dans le cerveau humain et dans celui des autres Simiidæ, des Cercopithecidæ et des Cebidæ. Mais toutes les parties du rhinencephalon, qui sont tellement distinctes chez les mammifères macrosmatiques, peuvent être reconnues aussi dans le cerveau humain. 
Le petit bulbe olfactif ellipsoïde est pour ainsi dire amarré à la plaque crébriforme de l'os ethmoïde, par les nerfs olfactifs. Comme l'endroit d'attachement du pédoncule olfactif à l'hémisphère cérébral qui se développe est déplacé en arrière de plus en plus, par le progrès même de l'extension de l'hémisphère, le pédoncule est fortement tendu et élongé. Et comme cette tension implique la substance grise sans diminuer le nombre de fibres nerveuses dans la région olfactive, le pédoncule devient en effet ce qu'on l'appelle ordinairement la région olfactive. 
Le tuberculum olfactorium est très réduit et en même temps aplati ; il n'est donc pas facile de distin guer entre lui et l'espace perforé antérieur. La fissure rhénale antérieure, qui existe aux débuts du foetus humain, disparaît presque, sinon entièrement, chez l'adulte. Une partie de la fissure rhénale postérieure persiste toujours dans la "incisura temporalis" et parfois, surtout chez certaines races extra-européennes, la fissure rhénale postérieure tout entière persiste sous cette forme typique que nous rencontrons chez les singes anthropoïdes.»
( G. Elliot Smith, Descriptive and Illustrated Catalogue of the physiological series of comparative anatomy contained in the museum of the Royal College of Surgeons of England, 2e éd., t. II. On trouve un rapport complet des recherches de Smith, avec les diagrammes, chez Bullen, Journal of mental Science, juillet 1899. Le sujet entier des centres olfactifs a été étudié à fond par Elliot Smith, ainsi que par Edinger, Mayer et G.L. Herrick. Dans le Journal of Comparatlve Neurology, rédigé par ce dernier, on trouvera nombre de discussions et de résumés à partir de 1896. Sur les organes primitifs de l'odorat chez plusieurs groupes d'animaux invertébrés, on trouvera des renseignements chez A.B. Griffith, Physiology of the Invertebrata, chap. XI (N. D. A.)).

La prédominance de la région olfactive dans le système nerveux des vertébrés en général a impliqué inévitablement des associations psychiques intimes entre les stimuli olfactifs et l'impulsion sexuelle. Non seulement les associations sexuelles sont, pour la plupart des mammifères, surtout olfactives, mais les impressions reçues par ce sens suffisent souvent pour faire contrepoids aux impressions de tous les autres sens. 
Nous pouvons fort bien observer cela sur le chien. Un jeune chien que je connais bien, qui n'avait jamais eu de rapports avec une chienne, mais qui était toujours en compagnie de son père, rencontra un jour ce dernier immédiatement après que le vieux chien eut été avec une chienne. Il s'efforça tout de suite de se comporter envers son père comme envers une chienne. Les impressions recues par le sens de l'odorat furent assez fortes pour mettre en action le mécanisme sexuel. 
(Il y a un chapitre intéressant sur le sens olfactif dans la vie mentale du chien chez Giessler, Psychologie des Geruchs, 1894, chap. Xl. Passy (dans l'appendice à son mémoire sur l'olfaction, Année Psycho/ogique, 1895) donne le résultat de quelques expérienees intéressantes sur l'influence des parfums sur les chiens ; on découvrit que la civette et le castoréum avaient l'effet le plus excitant (N. D. A.)).

L'influence de l'odorat est aussi générale dans la vie sexuelle de plusieurs insectes. 
(Les travaux des neurophysiologistes, psychophysiologistes et cliniciens sur le rhinencéphale, se sont multipliés depuis 1950. Ils ont montré les connexions entre : a) rhinencéphale et activité sexuelle ; b) rhinencéphale et activité instinctuelle non génitale ; c) rhinencéphale et régulation affective. C'est ainsi qu'on a pu constater, par exemple, la fréquence de troubles de l'appétit chez les animaux d'expérience et chez les êtres humains porteurs de lésions rhinencéphaliques, de l'impuissance et de l'homosexualité chez les épileptiques temporaux dont on connaît également les troubles de l'humeur et le caratère impulsif. (N.D.É))
Ainsi Féré a découvert que chez les hannetons l'accouplement sexuel ne pouvait avoir lieu si on avait enlevé les antennes, qui sont l'organe de l'odorat. Il a découvert aussi que les mâles, après s'être unis aux femelles, devenaient sexuellement attractifs pour les autres femelles (Comptes rendus de la Société de Biologie, 21 mai 1898). Féré a encore découvert que, chez une espèce de lombyx, les mâles, après le contact avec les femelles, étaient parfois attractifs pour les autres mâles, mais sans que cela entraîne des rapports anormaux (Id., 30 juillet 1898).

Chez les singes supérieurs, et surtout chez l'homme, tout cela a changé. Le sens de l'odorat persiste bien universellement et il est aussi toujours excessivement délicat, mais il est souvent négligé (La sensibilité de l'odorat chez l'homme en général dépasse celle de la réaction chimique ou même de l'analyse spectrale. Voir Passy, L'Année psychologique, 2e année, 1895, p. 380 (N. D. A.)). 
De plus, il est un auxiliaire utile pour explorer le monde extérieur, car, en plus des très rares sensations que nous fournissent le toucher et le goût, nous connaissons un grand nombre d'odeurs, quelque vague que soit d'habitude l'information qu'elles nous donnent. 
Un parfumeur habile aura deux cents odeurs dans son laboratoire, dit Piesse, et pourra les distinguer toutes. Pour un nez sensible, presque toute chose a une odeur. Passy affirme même qu'il n'a "jamais rencontré un objet réellement inodorant si on le considère bien, pas même du verre". Nous pouvons à peine accepter absolument cette affirmation, surtout après les expériences soignées d'Ayrton, démontrant que contrairement à l'opinion générale, les métaux parfaitement propres et dénués de traces du contact avec la peau et des solutions salines n'ont aucune odeur. 

Pourtant l'odeur est très répandue. C'est le cas surtout dans les pays chauds et les recherches de la Cambridge Anthropological Expedition sur le sens de l'odorat chez les Papous ont été assez entravées par le fait qu'à Torres Straits toute chose, même l'eau, paraissait avoir une odeur. Souvent on prétend, avec une exactitude plus ou moins grande, que les sauvages sont indifférents aux mauvaises odeurs. Ils sont pourtant vivement sensibles à l'importance des odeurs et à leur variété, bien qu-il ne semble pas que le sens de l'odorat soit beaucoup plus développé chez les sauvages que chez les civilisés. Les odeurs continuent à jouer un rôle dans la vie émotionnelle de l'homme, surtout dans les pays chauds. Mais, malgré cela, l'odorat est, dans la vie pratique comme dans la vie émotionnelle, dans la science et dans l'art, sous les conditions normales, tout au plus un auxiliaire. Si le sens de l'odorat était perdu tout à fait, la vie de l'humanité se poursuivrait comme auparavant avec peu de modifications sensibles, mais les plaisirs de la vie, et surtout ceux de manger et de boire, en seraient quelque peu diminués.

Dans la Nouvelle-Irlande, dit Duffield (Journal of the Anthropological Institute, 1886, p. 118) , les indigènes possèdent un odorat très éveillé ; les odeurs non habituelles leur déplaisent et "l'acide phénique les rendait furieux". 

Les Néo-Calédoniens n'aiment les odeurs de viande et de poisson que si ces odeurs deviennent fortes, comme la popaya, qui a l'odeur du fumier de poulailler, ou la kava, qui répand celle d'oeufs pourris. Des fruits et des légumes qui deviennent mauvais leur semblent les meilleurs, tandis que les odeurs fraîches et naturelles que nous préférons semblent leur dire : "Ceci n'est pas encore comestible" (Foley, Bulletin de la Société d'Anthropologie, 7 novembre 1879). 
Le goût pour les aliments putrides, commun chez les sauvages, n'implique pas nécessairement un dégoût pour les odeurs agréables, et même chez les Européens il y a un goût très répandu pour des aliments mal odorants et putrides, spécialement du fromage et du gibier. 

Les indigènes de Torres Straits (Report of the Cambridge Anthropological Expedition to Torres Straifs, t. II, part 2, 1903) ont été soigneusement examinés par le Dr C. S. Myers, quant à leur acuité et leurs préférences olfactives. On trouva que l'acuité était très peu supérieure à celle des Européens. Il sembla que cela provenait en grande partie de leur grande attention pour les odeurs. Les ressemblances qu'ils découvrirent entre différentes substances odorantes furent souvent trouvées reposer sur des affinités chimiques réelles. Les odeurs qui leur inspiraient le plus souvent du dégoût étaient l'assa f¦tida, l'acide de valériane et la civette. La dernière était considérée comme la plus dégoûtante de toutes à cause de sa ressemblance avec l'odeur fécale, que ces gens ont en très grand dégoût. Leurs odeurs favorites étaient le musc, le thym, et surtout la violette.

En Australie, Lumholtz constata que les Noirs possédaient un sens olfactif plus vif que lui-même (Among Cannibals, p.115)

En Nouvelle-Zélande, les Maoris possédaient, d'après W. Colenso, en tout cas autrefois, un sens olfactif très développé, ou bien ils étaient très attentifs aux odeurs. Leur opinion sur les odeurs agréables et désagréables correspondait de près à l'opinion européenne, bien qu'on doive ajouter que quelques-uns de leurs aliments habituels possédaient une odeur très désagréable. Ils ne sont pas seulement sensibles aux parfums européens, mais ils avaient plusieurs parfums spéciaux provenant de plantes et possédant une odeur agréable, pénétrante et durable. Le meilleur et le plus rare de ces parfums était la gomme du taramea (Aciphylla Colensoi), qui était récoltée par des vierges après des prières et l'usage de charmes. Sir Joseph Banks observa que les chefs maoris portaient des petits paquets de parfums autour du cou, et Cook fit la même observation chez les jeunes femmes. On trouve la mention des quatre principaux parfums maoris, dans une strophe qu'on fredonne encore souvent pour exprimer sa satisfaction, et que la mère chante à son enfant :
A mon cou, la petite pochette de mousse parfumée,
A mon cou, la petite pochette de fougère suave,
A mon cou, la petite pochette de gomme odorante,
Mon médaillon parfumé de taramea pointu.
En été les maisons ou se couchent les chefs maoris sont souvent jonchées d'herbes parfumées d'une odeur pénétrante. (W. Colenso, Transactions of fhe New Zealand Institute, t. XXIV, reproduit dans Nature, 10 novembre 1892).

Les Javanaises se frottent d'un mélange de craie et d'essence forte qui laisse au corps un parfum spécial. (Stratz, Die Frauenkleidung, p. 84).

Les insulaires de Samoa aiment les odeurs suaves et aromatiques (Friedlander, Zeitschrift für Ethnologie, 1899, p 52). Friedlander énumère une vingtaine de plantes odorantes qui sont en usage chez eux, surtout comme guirlandes autour de la tête et du cou. Parmi ces plantes, il y a l'ylang-ylang et le gardénia. D'une de ces plantes (cordyline), Friedlander lui-même ne put pas découvrir l'odeur.

Comme les Néo-Zélandais, les Nicobarais ont horreur de l'odeur de l'acide phénique (Man, Journal of the Anthropological Institute, 1889, p 52). Les jeunes hommes et les femmes aiment beaucoup les parfums. Les premiers disent que l'usage des parfums les rend agréables aux femmes, et ils apportent de la brousse les feuilles d'odeur suave d'une certaine plante grimpante, pour les donner à leurs fiancées et à leurs femmes.

Chez les Swahili, les femmes mettent beaucoup de soin à se parfumer. Lorsqu'une femme veut se rendre désirable, elle se couvre entièrement d'onguents suaves, elle s'asperge d'eau de rose, elle met du parfum dans ses vêtements, elle jonche son lit de fleurs de jasmin, attache ces fleurs autour de son cou et de sa taille, et fume de l'ûdi, le bois parfumé de l'aloès. "Tout homme est heureux si sa femme sent l'ûdi' (Velten. Sitten und Gebraüche der Swahili, pp 212-214) »  »

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Éditique : Dr Lucien Mias  - 22 juin 2009

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