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 Havelock Ellis - Études de psychologie sexuelle
Éd. Mercure de France 1964 (1°éd. 1935) - Huit volumes

Tome II
 L'odorat
L'odorat - chapitre I - L'odorat - chapitre II - L'odorat - chapitre III.- L'odorat - chapitre IV - L'odorat - chapitre V et VI  
Tome II - Chapitre V et VI images/logoPdf8k.jpg5 pages
Chapitre V

« Les mauvais eflets de la stimulation olfactive excessive. Les symptômes du vanillisme. Les résultats dangereux occasionnels des odeurs des fleurs. Les effets des fleurs sur la voix. 

Quelque faibles que puissent parfois paraître les influences olfactives que nous avons considérées, la réalité de ces influences est démontrée par le fait que les odeurs, tant agréables que désagréables, sont des stimulants qui obéissent aux lois qui régissent les stimulants en général. Les odeurs excitent momentanément les énergies nerveuses, mais à la fin, lorsque l'excitation est excessive et prolongée, elles produisent la fatigue et l'épuisement. Cela ressort clairement des expériences minutieuses de Féré sur l'influence des odeurs sur la quantité de travail enregistrée par l'ergographe, comparée à l'influence des autres stimulants des sens (Féré, Travail et Plaisir, chap. XIII.).

En commentant l'expression de Bernardin de Saint-Pierre que « l'homme emploie des parfums pour communiquer de l'énergie à sa passion », Féré remarque : « Mais les parfums ne peuvent pas entretenir les feux qu'ils allument. » Leur emploi prolongé implique une fatigue qui ne diffère pas de celle qu'entraîne un travail excessif, elle reproduit tous les phénomènes corporels et psychiques qui accompagnent un travail prolongé.

 (Féré, Travail et Plaisir, p. 175. Cela est sans doute vrai pour les effets des odeurs sur la sphère sexuelle. Féré mentionne le cas d'une dame neurasthénique, dont la frigidité sexuelle envers son mari ne disparut qu'après qu'elle eut abandonné un parfum (qui consistait apparemment surtout en héliotrope), et qu'elle avait eu l'habitude d'employer en quantité excessive (N. D. A.))

C'est un fait assez connu que les ouvriers dans les parfumeries sont portés à souffrir de l'inhalation des odeurs parmi lesquelles ils passent leur vie. On dit que les marchands de musc sont spécialement sujets à la démence précoce. 

On a souvent étudié les symptômes éprouvés généralement par les hommes et les femmes qui travaillent dans les usines de vanille, où les fruits de vanille sont préparés pour le commerce. Ces symptômes sont causés par l'aspiration de l'odeur, qui possède toutes les propriétés des aldéhydes aromatiques. Les symptômes comprennent des éruptions sur la peau  l'excitation générale, l'insomnie, des maux de tête, une menstruation excessive et une vessie irritable. Il y a presque toujours de l'excitation sexuelle, qui peut devenir très prononcée. 

(Il est peut-être important que plusieurs odeurs soient spécialement susceptibles de produire des désordres de la peau, surtout de l'urticaire. Un certain nombrc de cas sont mentionnés par Joal, Journal de médecine, 10 juillet 1899 (N. D. A.)),

(Layet, article «Vanillisme », Dictionnaire encyclopédique des Sciences médicales. - Comparer : Audéoud Revue médicale de la Suisse romande, 20 octobre 1899; Claverie Le vanilisme, Thèse de Paris, 1907-8)

Nous pouvons admettre que nous nous trouvons ici en présence, non seulement d'une influence nerveuse, mais d'un effet direct d'une odeur sur le processus vital. 
Les expériences de Tardif sur l'influence des parfums sur les grenouilles et les lapins ont démontré leur effet vénéneux (E. Tardif, Les Odeurs et les Parfums, chap. 6). Féré a fait couver des oeufs de poule en présence de musc, et il a trouvé à plusieurs reprises que des anomalies diverses se présentaient et que le développement était retardé même chez les embryons qui demeuraient normaux. Il obtint des résultats à peu près semblables en se servant d'essence de lavande, de clous de girofles, etc. (Féré, Société de Biologie, 28 mars 1896) 
L'influence des odeurs est donc plus profonde que ne l'indiquent leurs effets nerveux; elles agissent directement sur la nutrition. Nous sommes amenés, comme le remarque Passy, à considérer les odeurs comme très intimement liées aux propriétés physiologiques des substances organiques, et le sens de l'odorat comme un fragment détaché de la sensibilité générale, qui réagit aux mêmes stimuli que la sensibilité générale, mais supérieurement spécialisé en vue de sa fonction protectrice.

La réalité et la subtilité de l'influence des odeurs sont encore démontrées par les cas où des effets très intenses sont produits même par l'inhalation temporaire de l'odeur des fleurs ou d'autres parfums. Depuis plusieurs siècles, on connaît dans la littérature médicale des cas d'idiosyncrasie où une personne, fréquemment d'un tempérament quelque peu neurasthénique, a acquis une sensibilité suraiguë à une ou plusieurs odeurs. Dans ces cas, l'odeur désagréable produit la congestion des voies respiratoires, l'éternuement, des maux de tête, des syncopes, et parfois même la mort, à ce qu'on affirme.

(Le Dr J.N. Mackenzie, dans son intéressante et savante étude, « The production of the so-called Rose Cold, etc. », American Journal of medical sciences, janvier 1886, cite plusieurs cas, et reproduit plusieurs documents d'auteurs médicaux anciens. Voir aussi Layet, article « Odeurs », Dictionnaire des Sciences médicales).

Un phénomène intéressant de ce groupe, mais presque trop commun pour qu'on l'appelle idiosyncrasie, est la tendance de l'odeur de certaines fleurs à affecter la voix et parfois même à en entraîner la perte complète. Le mécanisme du processus n'est pas entièrement expliqué, mais il semble que la congestion et la paralysie du larynx se produisent, ainsi que des spasmes du pharynx et des bronches. 
Botallus a décrit, en 1565, des cas où le parfum des fleurs fut cause de difficultés dans la respiration et le danger des fleurs à ce point de vue est reconnu par les chanteurs professionnels. Cette question a été étudiée d'une manière détaillée par Joal. 
Le Dr Cabanès a cité les expériences d'un certain nombre de chanteurs et de cantatrices, de professeurs de chant et de laryngologistes (Résumé dans British medical Journal, 3 mars 1895)
Ainsi, Mme Renée Richard, de l'Opéra, a fréquemment remarqué, lorsque ses élèves arrivaient avec un bouquet de violettes fixé au corsage, ou même avec un sachet de violette ou d'iris sous les vêtements, que les voix étaient faibles, et l'examen par le laryngoscope démontra que les cordes vocales étaient congestionnées. Mme Calvé confirma cette opinion et ajouta qu'elle était très sensible à la tubéreuse et au mimosa ; une fois, un bouquet de lilas blanc lui causa, pendant quelque temps, la perte complète de sa voix. 
Les fleurs mentionnées sont également dangereuses pour beaucoup d'autres chanteurs et chanteuses ; la violette est désignée comme la fleur la plus nuisible. Rarement on mentionne la rose ; et les parfums artificiels sont relativement inoffensifs, bien que certains chanteurs regardent comme meilleur de n'en user qu'avec circonspection (Le problème de l'influence des substances odorantes sur la santé est, depuis les recherches contemporaines, à lier à celui de l'allergie (N. D. É.))

Chapitre VI

La place de l'odorat dans la sélection sexuelle humaine. - L'odorat a cédé la place prédominante a la vue, surtout parce que chez l'homme civilisé l'odorat n'agit pas a distance. - L'odorat joue toujours un rôle en contribuant aux sympathies ou aux antipathies du contact intime.

Lorsque nous jetons un coup d'oeil sur le terrain étendu que nous avons rapidement traversé, il ne semble pas impossible d'acquérir une idée assez précise de la place spéciale qu'occupent les sensations olfactives dans la sélection sexuelle humaine. 
Chez l'homme, la particularité spéciale de ce groupe de sensations, et même la particula}ité qui lui donne une importance qu'autrement elles ne posséderaient pas, réside dans le fait que nous assistons ici à la décadence d'un sens qui, chez les ancêtres les plus reculés de l'homme, a été le canal principal de l'attrait sexuel. 
Chez l'homme, même chez l'homme le plus primitif et à un certain degré déjà chez les singes, l'odorat a diminué en importance et il a cédé la place à la vision (Moll a un bon passage sur ce pointt, Untersuchungen über die Libido sexuelle, t. I, pp. 376-381)
Pourtant, à ce degré inférieur de subtilité où l'odorat se trouve chez l'homme, il nous baigne toujours dans une atmosphère plus ou moins constante d'odeurs, qui nous imposent continuellement de la sympathie et de l'antipathie, et que nous ne négligeons point dans leurs formes plus délicates, mais qu'au contraire nous cultivons avec le progrès de notre civilisation. 

Nous nous rendons compte que les manifestations plus grossières de l'attrait sexuel par l'odorat appartiennent, pour autant qu'il s'agit de l'homme, à un passé animal très éloigné, au-dessus duquel nous nous sommes élevés, et que nous ne pourrions pas ressusciter, même si nous le désirions. Car la subtilité de nos organes olfactifs a diminué. 
Le sens de la vue devient actif longtemps avant que la distance soit assez petite pour pouvoir mettre en action le sens de l'odorat. Mais les possibilités latentes de l'attrait sexuel par l'olfaction, qui sont inévitablement incorporées dans la structure nerveuse que nous avons héritée de nos ancêtres animaux, sont toujours prêtes à entrer en jeu. De temps en temps, ces possibilités latentes apparaissent à la surface chez des personnes anormales et exceptionnelles. Elles ont une tendance à jouer un rôle extraordinairement grand dans la vie psychique des neurasthéniques chez qui le système nerveux est sensible et relativement déséquilibré. 
C'est sans doute la raison pourquoi des poètes et des écrivains ont insisté si fréquemment et si fort sur les impressions olfactives. Pour la même raison, les invertis sexuels sont particulièrement sensibles aux odeurs. Pour une autre raison, les climats plus chauds, qui accentuent toute odeur et qui favorisent aussi la croissance de plantes puissamment odorantes, entraînent une augmentation des attractions sexuelles et autres de l'odorat, même chez les personnes normales. Aussi trouvons-nous une tendance génerale au plaisir des odeurs dans tout l'Orient, surtout dans l'lnde, chez les anciens Hébreux et dans les pays musulmans.

Dans la population civilisée de l'Europe, l'influence sexuelle de l'odorat joue à l'ordinaire un rôle minime, que pourtant il ne faut pas négliger entièrement. L'affaiblissement des odeurs explique qu'elles ne peuvent jouer comme influences sexuelles que lors du contact intime, lorsque les odeurs personnelles, en tout cas chez certaines personnes, peuvent avoir une influence distincte pour augmenter la sympathie ou pour éveiller l'antipathie. La série de la variation individuelle est considérable sous ce rapport. 
Chez quelques personnes, la sympathie ou l'antipathie olfactive est tellement prononcée qu'elle exerce une influence décisive sur leurs rapports sexuels. Ces personnes sont du « type olfactif ». 
Chez d'autres personnes, l'odorat ne joue aucun rôle pour constituer les rapports sexuels, mais il entre en jeu dans l'association intime de l'amour et agit comme une excitation additionnelle. Renforcées par l'association, ces impressions olfactives peuvent parfois devenir irrésistibles. D'autres personnes sont neutres sous ce rapport, et demeurent indifférentes tant à l'action sympathique qu'à l'action antipathique des odeurs personnelles, sauf lorsque ces odeurs sont extrêmement fortes. Il est probable que la majorité des gens cultivés relèvent du groupe intermédiaire des personnes qui n'appartiennent pas au type olfactif prédominant, mais qui sont susceptibles d'être de temps en temps influencées de cette manière. Les femmes sont probablement affectées de la sorte au moins aussi souvent que les hommes, et peut-être plus souvent. 
Tout bien considéré, nous pouvons donc affirmer que les odeurs jouent un rôle considérable dans la vie ordinaire de l'homme et qu'elles soulèvent des problèmes intéressants, mais que leur rôle démontrable dans la sélection sexuelle est relativement petit, autant dans l'accouplement préférentiel que dans l'accouplement assorti. »
Éditique : Dr Lucien Mias  - 22 juin 2009
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