UN
JARDIN THÉRAPEUTIQUE 6 pages
Patrick VELLAS
« Un jardin est un lieu où l'on se sent heureux
». Pourquoi, dès lors, ne pas mettre à
la disposition des personnes âgées des espaces
dans lesquels l'art et l'architecture des jardins tiendraient compte de
leurs besoins, et des acquis récents de la connaissance
gérontologique ?
Jardins aménagés sur des terrains dont disposent
de nombreux établissements et qui pourraient être
ouverts non seulement aux personnes âgées, aux
parents, amis, visiteurs, personnel, mais aussi, chaque fois que cela
serait possible, aux voisins du quartier, avec des aires de jeux pour
les enfants.
Par ses différentes fonctions, un jardin
thérapeutique peut être conçu pour des
personnes âgées
désorientées, ou en bonne santé.
l - Pour les personnes âgées
désorientées.
Elles posent d'importants problèmes au personnel des
établissements, dont il résulte un coût
salarial élevé. Des sédatifs sont
souvent prescrits, bien qu'ils puissent être responsables de
confusion, de dénutrition, de chutes. Parfois ils sont
attachés, ce qui provoque un nouveau traumatisme
psychologique, aggrave la perte d'autonomie, favorise un
état grabataire, avec tout un cortège de
souffrances.
C'est pourquoi Morley propose la conduite à tenir suivante :
orientations adéquates et
répétées, exercices physiques,
activités de groupe, suppression des facteurs stressants,
signalisations claires -et signalisations dissuasives - portes
commandées, jardin thérapeutique.
Pour répondre à ce besoin, des recherches ont
été entreprises. Elles montrent que,
doté d'une structure et d'une composition architecturale
appropriée, un jardin thérapeutique accomplit
pour ces patients une fonction particulièrement utile en
leur offrant des parcours adaptés. Des repères
altemés (constitués par des arbres, des arbustes,
des fleurs, certains omements, des bancs) permettent
d'éviter les risques de désorientation et les
désarrois qui en résultent, tout en apportant
calme et quiétude. Ces repères "naturels" sont
complétés par des panneaux familiers, identiques
à ceux qui sont utilisés à
l'intérieur de l'établissement, dans un but de
continuité entre les repères
intérieurs et les repères extérieurs.
Des allées et des cheminements permettent de marcher ou de
déambuler suivant des tracés choisis, en
disposant de zones d'ombre ou d'ensoleillement en fonction des saisons
et de la courbe du soleil. A des lignes droites découvrant
un espace qui invite à s'y engager, succèdent des
courbes qui adoucissent le tracé, limitent l'espace et
ramènent les promeneurs vers leur point de
départ, en les maintenant toujours sous le
contrôle visuel du personnel de l'établissement.
Les effets négatifs de la déambulation sont ainsi
limités, tandis que ses effets positifs sont
renforcés : autonomie élémentaire,
activité physique, prévention des complications
de décubitus.
2 - Pour les personnes âgées en bonne
santé.
Le jardin thérapeutique favorise la marche (dont les effets
bénéfiques ont été
fréquemment démontrés), l'organisation
d'exercices physiques et kinésithérapeutiques qui
jouent un rôle de prévention important,
à de nombreux titres (entretien musculaire, assouplissement
des articulations, équilibre psycho-physiologique,
prévention des maladies cardiovasculaires, psychiatriques et
pulmonaires notamment). Une aire d'exercices physiques, de jeux divers,
de pétanque, peut-être aussi un lieu
privilégié de relations sociales.
- Les parcours, par des chemins ensoleillés mais qui
évitent tout risque d'éblouissement, des haltes
sur des bancs ou des sièges permettent d'exposer aux rayons
du soleil le visage, les bras, les avant-bras, les jambes afin de
favoriser le métabolisme de la vitamine D dont
l'état de carence, pendant l'hiver, est
générateur de problèmes pathologiques
et de fragilité osseuse.
- La marche, incitée par l'agrément des parcours,
associée à des exercices physiques, contribue
à conserver les mécanismes locomoteurs,
à entretenir les muscles, à améliorer
le sens de l'équilibre, à stimuler
l'appétit. Elle favorise un bon équilibre
psychophysiologique et contribue à un meilleur sommeil
noctume.
- Des plates-bandes, aisément accessibles -de plantes
aromatiques, fleurs, arbustes fruitiers, et même
légumes- constituent des centres
d'intérêt, des lieux d'occupation, d'exercices
physiques naturels très
appréciés.Selon l'INSEE, 35,6 % des personnes
âgées en France pratiquent
régulièrement le jardinage.
- Par ailleurs ces éléments
végétaux sont disposés, dans l'espace
du jardin, de manière à reconstituer un paysage
familier. Le jardin est alors perçu « comme
faisant partie du paysage extérieur » dans lequel
on a vécu, "avant".
Dans ce but la composition du jardin, avec ses arbres, ses arbustes,
ses fleurs, ses fruits, l'herbe de ses prairies, le gravier, ou les
pierres de ses allées, son relief ou ses
dénivellations, rappellent la campagne environnante. Parce
que, pour des personnes âgées qui subissent une
détérioration psyhique, sous l'influence de
facteurs divers, les paysages de l'enfance qui restent
mémorisés, constituent un point d'encrage, de
stabilité, d'équilibre. En les rappelant, le
jardin contribue à reconstituer une part de leur
identité, à établir une relation
sensible dans le temps et dans l'espace entre le sujet et le paysage
familier qu'il regarde ou qu'il parcourt. Le jardin apporte ainsi
continuité et sécurité alors que, tout
autour de soi, s'éloigne, bascule : enfants, parents, amis,
projets, lendemains.
- Le vent qui bruisse dans les arbres, l'eau d'une source ou d'une
fontaine, l'odeur de la terre mouillée, la chaleur du soleil
sur la peau du visage, des mains, des bras, avivent les perceptions,
incitent à une relaxation naturelle, à un
bien-être physique et mental. Le rythme physiologique de la
respiration s'harmonise avec le mouvement des branches dans le ciel, de
l'eau dans un bassin. La composition des formes, des volumes, des
couleurs du jardin, et leur cadence, contribuent à apporter
calme, quiétude, apaisement.
- Le jardin doit avoir un caractère convivial, avec des
espaces délémités, à l'abri
du vent, dans lesquels il est agréable de se
réunir, avec des aires de jeux pour les enfants du quartier
ou pour les visiteurs. Avec aussi des recoins isolés qui
favorisent « une contemplation sereine ».
Par sa structure, par sa composition architecturale, par tout ce qu'il
apporte pour le bien-être des personnes
âgées et pour faciliter la gestion des
établissements, le jardin thérapeutique est
appelé à devenir un élément
essentiel dans l'équipement des institutions
gérontologiques.
- Littlefield S., Van Valkenburgh M., Garden Design, p.
144.
- J.E. Morley, G.T. Grossberg, Psychiatric Problems in the
Nursing Home, 1990.
- Patrick M. Vellas, Jardins Thérapeutiques,
Année Gérontologique, 1991.
- INSEE, Les personnes âgées, 1990,
p. 85.
UN JARDIN THÉRAPEUTIQUE
à
la maison de retraite " Les Acacias" à Nailloux (31560)
Le jardin thérapeutique de la maison de retraite " Les
Acacias", à Nailloux (31560), est un programme de recherche
appliqué réalisé avec le concours du
groupe de recherche Architecture, Urbanisme et Vieillissement. Il a
pour but, par delà l'aménagement des espaces
extérieurs :
- de fournir un support thérapeutique à
l'établissement,
- d'élever le niveau de bien-être des
pensionnaires,
- de favoriser l'accomplissement des tâches du personnel.
Le jardin thérapeutique est composé de trois
parties distinctes qui résultent :
- des contraintes imposées notamment par la structure du sol
(superficie, partie en forte déclivité),
- des fonctions que le jardin est appelé à
fournir à ses utilisateurs,
- de la composition architecturale et florale.
- J.G. Zimmer, Behavorial problems among patient in
skilled nursing facilities, Am. J. Public Health.
A. Première partie : L'ESPACE CENTRAL, LA TERRASSE
ET LES CHEMINEMENTS.
a) L'entrée du jardin est
aménagée du côté est du
parking.
Elle donne sur l'extrémité est de la terrasse. Le
promeneur aperçoit, sur sa droite, une haie
bordée de fleurs aux couleurs vives au-delà de
laquelle il a une vue panoramique très étendue.
Son sens olfactif est sollicité par deux massifs de plantes
aromatiques (lavande, thym, romarin, menthe) situés sur sa
gauche, de part et d'autre du chemin qu'il emprunte sous une charmille
(tonnelle) de chèvrefeuille. C'est un lieu d'odeurs, de
parfums, d'alternance d'ensoleillement et d'ombre (sous la tonnelle de
chèvrefeuille).
b) Le chemin aboutit à UN ESPACE CENTRAL conçu
comme un lieu intime, convivial, délimité par une
bordure végétale, avec :
- l'ombre de deux arbres (tilleuls) situés sur un axe
nord-ouest sud-est afin d'abriter des vents dominants (d'ouest et
d'autan),
- l'ensoleillement assuré par le dégagement de
l'axe est-ouest et des arbres à feuilles caduques. Des
fauteuils et des bancs invitent au repos, aux conversations
familières, éventuellement à de
petites réunions de plein air.
Au milieu de l'espace central, une volière apporte une
animation naturelle avec les couleurs, les chants et les mouvements des
oiseaux (tourterelles).
En bordure, les couleurs reposantes (vert du gazon), apaisantes (bleu
des myosotis ou des bleuets, rose des géraniums) ou
stimulantes parce que plus vives (rouge et jaune) fournissent des
perceptions alternées de quiétude et des stimuli.
c) Le visiteur, après s'être
arrêté à l'ombre des platanes,
près de la volière, poursuit sa promenade
par le cheminement (sol en béton balayé) qui
prolonge la tonnelle de chèvrefeuille au-delà de
l'espace central.
Il quitte alors l'ensoleillement pour aller vers une zone d'ombre
(sapins), de mousse, jusqu'à la fontaine qui apporte, avec
le bruissement de l'eau et l'odeur des conifères,
fraîcheur et humidité, calme et apaisement.
De la fontaine, le promeneur marche sur un chemin de terre battue, en
sous-bois, bordé de rondins jusqu'à
l'intersection d'un autre sentier, dont le sol est fait de graviers
bruissants sous les pas, qui traverse un jardin minéral et
un jardin de rocaille.
d
) Au bout de ce sentier,
dont la sinuosité a la tendresse des courbes, le promeneur
arrive sur la terrasse qui surplombe le reste du jardin (le potager, le
verger, le bois). Au centre, un espace rappelant un
"théâtre grec" est bordé de bancs
disposés sur un terre-plein d'où l'on a une belle
vue panoramique, sur la plaine et les côteaux,
étendue certains jours jusqu'aux
Pyrénées.
Sur le sol d'une partie de ce terre-plein, dans un angle du
"théâtre grec" entouré de bancs et de
fauteuils, un damier est dessiné sur le sol avec des
figurines aisément déplaçables pour
des parties de jeux de dames ou d'échec.
B. Par delà ce terre-plein,
délimité par des arbustes à fleurs
assez denses pour abriter du vent du sud sud-est, s'étend la
deuxième partie du jardin, constituée par :
a) Deux fois deux
plates-bandes (= quatre plates-bandes) destinées
à des cultures fruitières et
potagères.
b) Deux terrasses plantées d'arbres fruitiers :
pruniers, poiriers, pommiers, amandiers, cerisiers situés de
part et d'autre de l'allée centrale, avec leurs fleurs au
printemps et leurs fruits l'été. Les cultures
potagères, les bordures de fleurs, les arbres fruitiers,
constituent :
- une zone d'ergothérapie ;
- une zone d'entretien physique et de
rééducation.
C. La troisième partie, en forte
déclivité, s'étend de la
limite du verger à la limite extérieure du
terrain. Le sol est semé de graminées et de
légumineuses afin de constituer :
- Une prairie traditionnelle résistant, et d'offrir aux
regards une étendue de couleur, verte, reposante.
- Des peupliers sont plantés à partir des limites
extérieures du terrain suivant les deux lignes d'un angle
dont le sommet est situé sur la ligne d'horizon afin de
renforcer la perspective panoramique et de la soutenir par un double
encadrement paysager.
Cette troisième partie du jardin est parcourue par un
sentier en pente. Elle peut être un itinéraire de
promenade pour les plus autonomes, ou un espace d'exercice physique.