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Le Toucher
dans la
communication
9
pages
N.Grafeille, M. Bonierbale, M. Chevret-Meaggon, Les cinq sens et l’amour,
collection Réponses, R. Laffont, 1993
Communication vient du latin communicare "mettre en commun".
- L'acte de toucher intervient dans la vie de tous
les jours.
- Nous palpons, manipulons, entrons en contact par le
toucher avec les êtres vivants, les
éléments, les objets.
- Toucher nous est nécessaire pour vivre,
source permanente de connaissance et d'expérience, lien
vital avec le monde connu et inconnu.
- Toucher abolit toute distance relationnelle entre le
sujet et l'objet et engage l'individu à vivre un contact
intime. Quelles que soient la durée et la qualité
de ce contact, l'individu fait corps par sa peau, avec une
matière concrète et unique, dans le
présent. Il communique toute sa
réalité corporelle et psychique du moment et
reçoit en retour la réalité de l'autre
et du monte environnant.
- Cette nature spécifique du toucher (relation
de deux corps) laisse entrevoir toute la richesse
(à travers les perceptions) et la complexité
(à travers l'action) de ce sens qui met en jeu les fonctions
vitales de l'individu : émotionnelles, affectives,
psychiques...
- Nous ne pouvons pas
ne pas agir et réagir au toucher, parce qu'il nous implique
dans la communication avec l'autre.
- Que nous acceptions
ou refusions ce ressenti (la meilleure façon encore de
l'ignorer serait de ne pas toucher), nous l'enregistrons dans toute sa
multiplicité, consciemment et à notre insu.
- Le toucher, défini comme charge et décharge
émotionnelles, mobilise un vaste champ
d'excitations sensorielles qui réagissent les unes sur les,
autres, donnent la température de l'être,
créent et modifient l'échange.
Le
scénario du
toucher
- En découpant image par image le
scénario du toucher, on voit que :
- toucher est une perception
immédiate, une sensation pure et primitive
éprouvée par l'individu sur la nature de la
matière (mou/dur, sec/mouillé, chaud/froid.
lisse/rugueux...).
- Ce ressenti archaïque appartient plus
à l'enfant qu'à l'adulte, ce dernier
intégrant le contact sur les plans plus
émotionnels et mentaux de sa personnalité ;
- toucher est un réservoir
de données et d'informations qui,
ajoutées aux autres expériences sensorielles,
renseigne et précise l'origine de cette matière
(eau, main, chaise...) ;
- toucher est un échange
d'informations et de données entre le sujet et
l'objet ;
- toucher s'accompagne
d'appréciations, d'évaluation qui
s'expriment par : une émotion
agréable/désagréable) ou un sentiment
(ca me rend triste, joyeux...), ou un fantasme (ça peut me
faire mal...) ou une représentation (ca me rappelle...)
- Toucher pour communiquer est acte de
sensualité, nourriture érotique et
affective aussi indispensable et agissante que toute autre nourriture.
Acte de désir et de plaisir, celui d'être vivant,
de le dire.
- Acte de transformation du monde, sans lequel
l'humanité n'existerait pas.
- Mode instinctif et culturel de contact, le toucher
diffère suivant les époques et les ethnies, tisse
sa trame des relations humaines, perpétue aussi certains
schémas aliénants de la communication.
- Affaire d'éducation, le toucher raconte
l'histoire personnelle de chacun à travers ses
manifestations conscientes et inconscientes (la façon de
toucher, calmement, nerveusement, avec force, mollesse... ne pas
toucher ou ~moins possible, les actes manqués...).
- Véritable langage parallèle,
cette voix du silence peut tout aussi bien traduire
fidèlement notre monde intérieur que le trahir.
- Exemple : nous pouvons toucher l'autre de la main
avec chaleur en accord avec notre émotion du moment, ou
faire croire que nous l'accueillons alors que d'autres signes corporels
disent le contraire ; avancée de la main, contact et
rigidité du corps ; geste apparemment détendu et
ouvert alors que la voix est sèche et froide.
- Subtil mélange d'interdits et de
permissions, le toucher à ses limites,
circonscrites en premier lieu par le père et la
mère.
- L'exemple des parents dans leurs contacts entre eux,
s'ils ont ou non des gestes tendres et affectueux, et avec leurs
enfants, conditionnent le toucher de l'adolescent, de l'homme et de la
femme en devenir.
- Généralement, ce contact
parfaitement admis dans la petite enfance disparaît vers
10-12 ans, entre le père et son fils, car ce serait avouer
la part .. « honteuse » d'un contact homosexuel,
entre le père et sa fille par le tabou sexuel, entre la
mère , sa fille et son fils, pour les mêmes
raisons.
- Le touche s'arrête aux frustration
infantiles de la fille et du garçon et leur
éducation différenciée (la fille ;
être passif, timide, fragile ; le garçon, :
être actif courageux, fort) dicte leur conduite sensuelle,
sexuelle et sociale.
- Plus qu'un conditionnement à ne pas
toucher, l'éducation fait du toucher un acte de crispation,
de défense ; quand la communication par le toucher n'est pas
banale et réduite à des gestes
réflexes et utilitaires elle est agressive violente, raciste
(de classe, de sexe, d'âge, de races).
- Il est compréhensible que les
individus cherchent à «
récupérer » ce manque de contact par le
toucher, à travers des des formes très
variées allant des lieux d'expression du corps : massages,
thérapies... aux médias : annonces de journaux
(appel aux rencontres) et à tous les contacts publics
(métro, café, boites de nuit...)
- Ces réseaux de communication ont
des fonctions bien particulières dont nous pouvons dire
brièvement qu'elles remplissent les rôles de
rééquilibre affectif, de palliatif à
la solitude et à la misère affective et sexuelle,
d'exutoire aux refoulements tactiles par des modes violents et
agressifs (contact force, attouchements, appropriation de l'autre...).
- Ce toucher dont la connotation est
exclusivement sexuelle montre bien à quel point la
communication par le toucher s'est appauvrie et
détériorée, car si corps et
sexualité sont étroitement liés, ils
ne sont pas pour autant synonymes. « Dans notre culture
certaines parties ou fonctions du corps acquièrent une
signification dominante, valorisée par la mode et
renforcée par la répression. » Willy
Pasini dans "Éros et changement"
- Toucher n'est jamais un geste neutre, sans
portée. Simple en apparence il peut construire et
détruire l'individu : dégoût, peur,
plaisir, désir sont autant de réactions qui
déterminent la qualité de la communication.
- Si on examine le mode
occidental du toucher dans la communication courante, on
s'aperçoit qu'il privilégie
la main et la bouche.
- À la mobilité des mains et de
la bouche s'opposent la mise entre parenthèses du corps, son
immobilité et sa rigidité. Cette dissociation ne
s'explique pas seulement par le fait que main et bouche sont des
terminaisons nerveuses d'une extrême sensibilité
et précision, il semblerait qu'elle corresponde à
la coupure : mental et corporel. Ne sont utilisés et
exprimés que les membres et organes qui ont
été le moins réprimés.
- Parallèlement, l'acte de toucher par la
bouche est beaucoup plus proche de l'expérience originelle
(succion) que ne sont les mains, instrument du corps et de l'intellect,
de l'activité.
- Dans le livre La Peau et le toucher, Ashley Montaigu
résume la seule étude anthropologique sur la
tactilité dans une culture de tradition orale, les Dusun du
nord de Bornéo : « Le passage de la sensation
tactile à une représentation conceptuelle semble
capital, écrit T. R. Williamo, pour comprendre la
façon dont les individus assimilent l'acquis culturel de
leur société au cours de leur apprentissage
social et dans la transmission des traditions. On peut observer
quelques comportements tactiles manifestes et de nombreux substituts au
toucher proprement dit. Ces substituts se traduisent dans le langage,
dans des gestes ou dans des positions du corps utilisés
couramment dans la vie sociale. Par exemple, des mots
différents expriment les attouchements vitaux et les
attouchements non vitaux. De même les Dusun font clairement
la différence entre être touché au vif,
être touché-ému et être
attendri ; et aussi entre se toucher, se chatouiller ou se peloter l'un
l'autre. Les Dusun ont recours couramment dans leur vie à
des gestes codifiés par la coutume et qui
suggèrent des formes particulières du toucher. On
a recensé environ quarante gestes exprimant
l'émotion, dont douze au moins ont une signification
ouvertement érotique et désignent des actes
sexuels. Quant aux positions du corps symbolisant des sensations
tactiles, elles mettent en jeu un ensemble complexe de gestes
comprenant des inclinaisons de la tête, des expressions
faciales, des mouvements des mains, des bras et du buste. »
- Dans cet exemple, il apparaît que
l'apprentissage du toucher se fait plus au niveau d'une symbolisation
du corps et des gestes que par l'acte de toucher lui-même.
- Plus une société atteint un
haut niveau de technicité et de développement,
moins l'individu s'investit dans la communication par le toucher.
- La kyrielle d'instruments médiateurs
"hygiéniques" éloigne
l'individu de ses besoins réels, et remplace la
communication directe par des systèmes rapides,
dénués de personnalisation.
- L'espace du toucher féminin est celui
de l'intérieur, de la maison :
- efficace : cuisine, ménage, soins des
enfants ;
- purificateur : il nettoie, range, élimine la
matière en décomposition (merde,
saleté ) ;
- gracieux : les femmes en touchant enveloppent,
enrobent, de délicatesse et de finesse ce qui vit autour
d'elle;
- réparateur : il console, soutient, restaure
;
- qui ne permet pas de violence : les femmes subissent
plus souvent la violence physique des «mâles
» ne se reconnaissent ce droit lorsqu'il est
nécessaire (les femmes battues) ;
- rarement créateur : peu de femmes encore
aujourd'hui osent toucher pour modeler, sculpter, peindre, imaginer,
produire et acceptent d'être le relais, la source
d'inspiration, ou l'exécutante sage et modeste. Quand elles
créent (autre que l'entretien de l'homme et de leurs
enfants, repas, couture, décoration, soins des enfants,
elles le font dans l'obscurité et la non-reconnaissance ;
- qui est un plaisir plus proche : plus
immédiat, plus libre que ne l'est celui de l'homme. Un
toucher qui procède du concret, de l'envie de... sans que
les femmes aient besoin de le faire savoir, de le proclamer, d'en tirer
autre chose que l'agréable .
- Ce toucher féminin, dont la liste est loin
d'être complète, n'a aucune fonction sociale
reconnue, sinon celle admise d'entretien de la joie, de la forme
physique et psychique de l'homme et des enfants.
- On retrouve cette même
hiérarchie dans les activités
sociales des femmes, appréciées lorsqu'elle
répond à des fins de rentabilité (le
merveilleux doigté des ouvrières de l'horlogerie,
de la confection...), moins encouragée lorsqu'elle
à la prétention de se mouvoir vers d'autres
sphères plus décisionnelles et
intellectuelles.
- L'espace du toucher masculin, lui, est
celui
- de l'extérieur,
- de la maîtrise,
- de la conquête,
- du combat farouche, guerrier et dangereux
- pour le pouvoir (politique, économique,
intellectuel, affectif, créatif) .
- À part de sales travaux laissés
aux minorités raciales et aux femmes, l'homme ne touche que
ce qui peut l'ennoblir, et qu'il peut ennoblir. Si son terrain est
celui habituellement réservé aux femmes il sera
élevé au rang social (maître cuisinier,
maître tailleur. ..) :
- moins gracieux : on ne demande pas à l'homme
de l'être, ou alors il a franchi la frontière de
son sexe et reconnu ses valeurs féminines ;
- innovateur : il conçoit, aménage
;
- protecteur : il dirige, conduit, dicte ;
- violent : il frappe, blesse, fait lu tapage ;
- créateur : il produit, modèle,
donne forme.
- À l'intérieur de cette
même société, il existe un toucher
« de classe » dans le travail avec une
séparation nette travail manuel/travail intellectuel.
- Et il intervient pour le travail manuel une
dévalorisation du toucher, du concret, du contact avec la
matière à tel point que les gouvernement sont
obligés de promouvoir des campagnes publicitaires sur la
revalorisation du travail manuel.
Le toucher avec
l'autre
Le toucher dans la communication est constitué d'un ensemble
de codes que nous utilisons pour nous faire connaître,
prendre connaissance de l'autre et marquer le contact.
- Serrer la main
- Mode le plus répandu en
Occident, il peut être
- Cérémonieux, le corps droit
et immobile, la poignée de main ferme et rapide.
- Mou la main lourde et flasque s'appesantit dans
celle du partenaire.
- Énergique la poignée de main
est sans ambiguïté, franche et parfois chaleureuse.
- Tenace une fois qu'elle tient, elle ne lache plus.
- Froid, il n'invite guère à
prolonger le contact.
- Moite, il est très
désagréable et laisse une impression de poisse...
- Se serrer la main se justifie dans une
première prise de contact et les relations exclusivement
sociales, ce sont les hommes qui en font le plus usage entre
eux.
- Les femmes s'embrassent et s'enlacent plus
volontiers, rompant ainsi cette mise a distance par les mains en
société.
- Les jeunes gens préfèrent
embrasser les femmes même à la première
rencontre et sont, dans la grande majorité des cas,
réfractaires à un contact plus
rapproché avec leurs partenaires de même sexe.
Cette marque d'affection est encore un interdit difficile à
franchir et qui, dépassé, remet en cause tout un
comportement relationnel masculin.
- Serrer la main est une coutume qui varie
d'une région à l'autre : les habitants
du nord de la France sont plus enclins à se serrer la main
que ceux du sud.
- D'une classe à l'autre,
les salutations tactiles sont simplifiées, dans le monde
ouvrier, par exemple, ou empreintes de civilités et de
déférence dans la bourgeoisie.
- D'une culture à l'autre :
le code de salut dans le monde arabe entre hommes seulement
s'agrémente d'autres gestes :
- « Au Maroc, relève A. Montagu
dans une étude de Wistermarck, lorsque deux hommes de
même niveau social se saluent, ils ont un rapide mouvement
pour se serrer la main, la retirent immédiatement et
embrassent chacun leur propre main. Les Soolimas, eux, se saluent de la
main droite, paume contre paume, et de ces mains jointes se touchent le
front puis le côté gauche de la
poitrine.»
- Serrer la main est très prisé
chez les Anglo-Saxons qui y trouvent là un moyen de garder
une distance « convenable ».
- Les juifs, au contraire, qui ont connu dans
l'enfance un fort degré de tactilité, le
cultivent à l'âge adulte. Ils sont très
démonstratifs, saluent, embrassent, étreignent.
- Le terme « abrazo »
désigne l'accolade des hommes espagnols qui se tapent les
épaules parfois pendant un quart d'heure.
- Les Américains ont très vite
supprimé le serrement de main dans la communication sociale.
Dans les relations plus affectives entre hommes ils s'interpellent par
leur prénom plus qu'ils n'ont de contact par le toucher. Les
femmes n'utilisent que peu le serrement de main et communiquent de
façon beaucoup plus directe entre elles : geste de la main
sur l'épaule, le cou, dans les cheveux, baisers et caresses.
Le baiser
- Dans le baiser intervient avec la
tactilité, le goût : la peau
à une saveur propre à chacun de que nous
« testons », lorsque nous déposons un
baiser sur les joues de l'autre.
- Le baiser indique que la relation est plus proche, mais il
est aussi la recherche d'une intimité et d'un contact
sensuel.
- C'est le cas entre filles et garçons
où le baiser est un support de drague facile.
- Mouillé, le baiser laisse un peu de
salive.
- Ventouse, il colle à la peau et s'en
détache difficilement.
- « En cul de poule », le contact
de la peau s' accompagne d'une moue qui ponctue la nature du geste :
distance hygiénique.
- Long ou bref, suivant ce que la personne veut
signifier.
- Chaste, sur le front : jeu ou expression d'une
attitude de type fraternel, protecteur ou maternel.
- La langue (hormis dans les contacts
amoureux) ne se mêle pas au baiser chez les peuples
civilisés alors que chez les primitifs la friction faciale
nasale réciproque plus employée que le baiser est
suivie d'action linguale.
- Dans "La Fonction érotique",
Gérard Zwang rapporte ce contact particulier qui est par la
bouche et la langue une appréhension tactile et gustative du
partenaire : « Nous avons le même goût,
nous sommes du même sang. »
- Chez les Asiatiques et plus
spécialement les Japonais, le baiser est absent.
- Les Russes - entre hommes - se baisent
sur la bouche en signe de retrouvailles et d'amitié.
- Cette coutume étonne les Occidentaux, mais
que l'on ne s'y méprenne pas ce contact de bouche
à bouche est plus une reconnaissance de la nature virile de
leur sexe et peut tout aussi bien être employé
entre soldats qu'entre civils, et perd sa fonction érotique.
Le droit de
cuissage
- Les femmes subissent plus que tout autre les agressions de
leurs corps que le sexe mâle ne se prive pas de commettre
lorsqu'il en a l'occasion.
- Cette appropriation du corps des femmes (indirecte et
vile) est encouragée par l'éducation : l'exemple
du père collant sa main aux fesses de sa femme
légitime aux yeux du garçon son droit de
propriété des femmes, et assure au sein de la
famille une complicité sexiste.
- Les medias (films, livres, publicité),
qui ne cessent d'avilir le corps des femmes offertes aux mains et
plaisirs masculins, sont le relais idéologique parfait
à ce viol généralisé.
- Mettre la main « au cul
» des femmes dans la rue n'étant plus aussi facile, l'homme
cherchera d'autres lieus plus propices aux contacts (ascenseur).
- La main aux seins est plus rare car elle confronte
directement l'homme avec son « objet » de viol.
L'homme ne peut soutenir ce face à face qui le
dévoilerait lâche et grossier.
- Le droit de cuissage en public, privilège du
petit peuple mâle, trouve sa légalisation dans les
couches plus élevées de la gent masculine et
notamment dans le travail.
- Cadres et patrons jouissent du corps des femmes
travailleuses (ouvrières, secrétaires ) sans
qu'elles aient la possibilité de se défendre
contre cette double discrimination (exploitation de leur force de
travail et de leur corps) sous peine d'être
licenciées, d'être la proie de chantage et de
menaces, ou plus cyniquement d'être taxées
d'hystériques et te provocatrices . (cf rapport Auroux, nov.
1981)
- Que diraient ces messieurs si les femmes leur
mettaientdélibérément la main aux fesses et les
traitaient comme des marchandises sexuelles ?
La
bourrade
- Se taper dans le dos, sur l'épaule est le propre
des hommes qui, tout en montrant leur complicité de sexe,
évitent ainsi un rapport compromettant .
- L'éducation sexiste dit bien qu'un
garçon doit être fort et se battre.
La bagarre
- « Les coups ça fait mal...
» et parfois du bien
- La bagarre est le moment
privilégié où les corps se touchent,
se confrontent, se jaugent, s'évaluent. Ces frictions
corporelles ne se bornent plus à la main ou
l'épaule, et la bagarre légalise un toucher plus
directement sexuel dont les combattants ont rarement conscience.
- Dans l'une des scènes de son film
"Love", Kenn Russel montre les ébats amoureux et guerriers
de deux hommes d'une trentaine d'années demi-nus sur un
tapis de laine et près d'un feu de bois. Curieusement le
titre en anglais est "Women in love".
- Au-delà du droit du plus fort, de la
démonstration entre hommes de leur force et de leur
virilité, s'exprime un besoin plus profond de toucher son
semblable. Derrière l'affrontement et le défi
physique se cachent des demandes de contact que le garçon ne
peut se représenter et vivre autrement que par l'agression
des corps.
- Les formes utilisées pour ce faire sont
des plus contestables puisqu'elles maintiennent la relation
intermasculine dans le champ étroit des « règlements
de compte » grotesque où les deux seules
données sont celles de la puissance et du pouvoir.
- Nous retrouvons ce même mode de
réponse et de communication entre hommes par le toucher dans
un sport comme la mêlée de rugby
par exemple ; cette fois il ne s'agit plus de bagarre dans son sens
strict, mais d'affrontements de jeu, de corps à corps dont
l'objet transitionnel est le ballon. Les mains des joueurs enserrent la
taille, le bas-ventre, les jambes...
- Ces « accouplements »
masculins se poursuivent hors du stade dans les vestiaires
(séances de massage, douches en commun...). Il est
remarquable de voir que le toucher entre hommes est autorisé
dans ce cadre-là, celui du jeu et de la
compétition, permettant de donner vie au contact des corps.
Mais qu'il n'est jamais reconnu comme plaisir et attirance entre
hommes.
- Cette constatation est valable à l'armée
et dans les guerres où le partage en commun de la vie fait
obligatoirement appel aux contacts entre corps ; ne serait-ce que pour
retrouver chaleur et affection dont tout être humain a
besoin.
La
danse
- Les bals du samedi soir et les sorties dans les
boites de nuit sont les occasions les plus courantes pour
entrer en contact avec l'autre par le toucher.
- « Valse ou tango, écrit Zwang,
"excusent " l'enlacement, la prise par la taille, la jonction des
mains, la pression réciproque des bustes, des ventres,
l'entrelacement des membres inférieurs. »
- La danse et la musique remplissent le rôle de
rencontres et d'érotisation qu'il n'est guère
utile de mettre en évidence.
- On remarque malgré tout que le
phénomène de la musique « rock
» est l'expression d'une rupture avec un mode de contact et
de communication trop codé ; et si cette musique
éloigne plus les corps qu'elle ne les lie, la jeunesse
manifeste son besoin d'amour dans les rassemblements des corps au cours
des concerts et autre vécu relationnel (vie en commun,
repos, activité) dans un même espace, plus
spontané et libre.
Les
câlins
- Se dorloter, se bercer, se témoigner de
l'affection par des gestes de tendresse et des caresses est une
réalité humaine qui ne s'arrête pas
à l'enfance.
- Être adulte dans sa définition de
« parvenu à sa croissance » n' exige pas
la brutale disparition de signes affectueux et chaleureux.
- Les difficultés que rencontrent les individus
dans leur communication tiennent en grande partie à cette
censure dans l'échange affectif : les câlins sont
assimilés à un comportement infantile, voire
abêtissant.
- La faillite des relations humaines trouve son origine
dans la raideur et la fausse pudeur qu'ont les adultes à
s'aimer et a se prodiguer des douceurs.
- De cette inaptitude à sortir du raisonnable
et du pondéré, les adultes s'enferment dans des
caricatures stupides et, plus grave encore, font de leur
sexualité le seul lieu où se déversent
leurs manques de contacts affectueux, dans le quotidien, sans
tendresse, mesure et écoute de l'autre. En croyant se donner
et recevoir ils prennent et s'abusent l'un l'autre, oubliant
« ces plages de solitude ». C. Zwang, La Fonction
érotique.
Le
toucher de masse
- Dans tous les lieux de concentration humaine
ou nous évoluons (foule, métro, rues, grands
magasins. café...), nous ne pouvons échapper aux
rencontres fortuites, aux contacts de « surface »
qui, comme tels, sont une forme de communication par le toucher,
même s`ils sont la plupart du temps vidés de tout
contenu émotionnel et affectif, et ne s'adressent
à personne en particulier.
- La gêne et le malaise que
provoque cette promiscuité tactile sont liés
à :
- la disparition (ponctuelle) de l'espace vital,
- l'effraction de la bulle intime
- Distance où l'on reçoit les
signaux (chaleur, odeurs, sueur...) et ou les nôtres sont
perçus.
- Noyé dans la masse, chacun n'est plus le
même, il devient victime des autres,
altéré, aliéné.
- G. Zwang : « La promiscuité des
transports en commun, des files d'attente, des
cérémonies en plein air entraîne de
visibles contorsions physiques (et mentales) pour ne pas voir les
autres, ne pas les sentir, s'abstraire du magma opaque,
préserver l'individualité de son entourage.
»
- Cette dépersonnalisation objective a aussi
ses moments euphorisants et recherchés pour
s'évader de sa petite sphère individuelle et se
brasser dans la masse. La foule repousse autant qu'elle attire.
L'auto-toucher
- Nous laissons parler notre corps, le plus souvent
à notre insu, lorsque nous ponctuons un acte, une
parole, attitude par des gestes que nous nous prodiguons :
main sur le visage, dans les cheveux, main sur le ventre, la
poitrine...
- Cet auto-toucher entre dans la communication
avec l'autre comme signal de notre état
émotionnel de l'instant.
- Il revêt différentes formes :
la gêne, le malaise, la timidité,
l'énervement, le plaisir, la peur...
- En livrant en raccourci et en image ce que nous
ressentons intimement, nous influons sur le contact, de
manière beaucoup plus immédiate et directe que
nous le supposons.
- Ce que l'individu dit par ces signes et ce que
l'autre comprend peut tout aussi bien accélérer
la fin de l'échange que l'encourager, le rendre confus ou
clair.
Les
gestes de
réassurance
- Les gestes parasites
ont leur raison d'être en tant qu'expression de l'angoisse et
des tensions qui échappent au contrôle de
l'individu et apparaissent de façon réflexe dans
des situations précises.
- Ce que le conscient exprime par les mots,
l'inconscient le traduit par le non-verbal et toutes ces manifestations
gestuelles qui viennent renforcer ou contredire ce que l'individu
éprouve. Chacun dispose de tout un arsenal de gestes qui lui
sont propres.
- Dans la communication avec
l'autre, la multiplication des signes-paroles, voix, gestes, perturbe
l'échange. Et le partenaire aux prises avec ces
différents langages, dont il ne saisit pas obligatoirement
le sens, l'empêche d'intégrer la relation dans les
meilleurs conditions d'écoute et dé
réceptivité.
- Ce brouillage traduit la panique (geste de protection
du moi, geste qui cache les parties vulnérables...), il
parle aussi d'événements antérieurs
que l'individu retrouve à certaines occasions.
- Chercher à
comprendre la signification de ces signes, c'est prendre conscience des
différentes couches de son individualité et
situer les périodes de l'existence qui n'ont pas
été normalement digérées.
- Exemple des gestes puérils à
son propre égard témoignant de traces de
l'enfance encore vivaces chez l'adulte qui n'ont pas trouvé
leur juste aboutissement.
Les
gestes culturels
- Il suffit d'observer les
hommes et les femmes dans leurs activités et leurs
mouvements pour s'apercevoir qu'ils accomplissent de manière
rituelle des gestes types, des caricatures de comportement qui
constituent ce que Jung a appelé "la persona", dans La Dialectique du moi et de l'inconscient
- « Ce terme de persona, écrit-il,
exprime très heureusement ce qu'il doit signifier, puisque,
originairement, la persona désignait le masque que portait
le comédien et indiquait le rôle dans lequel il
apparaissait »
- « La persona est un ensemble
compliqué de relations entre la conscience individuelle et
la société ; elle est adaptée aux fins
qui lui sont assignées, une espèce de masque que
l'individu revêt ou dans lequel il se glisse ou qui,
même à son insu, le saisit, s'empare de lui, et
qui est calculé, agencé, fabriqué de
telle sorte qu'il vise à créer une certaine
impression sur les autres et d'autre part, à cacher,
dissimuler, camoufler la nature vrai de l'individu. »
- À cet habit,
cette apparence qui fait l'homme d'affaires, la secrétaire,
viennent s'ajouter des gestes "culturels" qui sont
plus directement liés à l'appartenance du sexe.
- L'homme dont le corps n'a jamais
été vécu comme attractif,
séduisant, esthétique, et donc sans
valeur érotique pour lui et l'autre, aura pour
lui-même des gestes bruts, peu raffinés, comme
main sur les cuisses, frottement de la poitrine, de ses parties
génitales ce qui dans ce dernier cas marque à la
fois le manque total de pudeur pour lui-même (et l'autre), la
vérification que son organe est toujours là
(angoisse de castration) et la démonstration publique de son
appartenance au masculin.
- Quand ces gestes ne sont pas attribués aux
fonctions digestives et sexuelles, ils se portent directement sur sa
partie intellectuelle : mains ou doigts qu'il presse sur son front,
mouvement circulaire de la main sur le menton...
- La femme qui, inversement, et même si elle
commence à sortir des sentiers battus de la
séduction, est affichée comme objet de convoitise
et le reprend à son compte aura à son
égard des gestes aussi typiques, tendant à
vérifier si rien ne cloche, si elle est «
regardable », des gestes d'attention plus sensuels et
érotiques dirigés vers l'extérieur :
main dans les cheveux qui les recoiffent, main qui caresse sa bouche,
mains sur les hanches, les genoux.
- Imaginons
une femme qui se caresse la poitrine ou se gratte le pubis, elle sera
taxée de vicieuse et de vulgaire.
- A contrario
l’homme qui aura des gestes dits “plus
féminins” sera tout simplement une…
”pédale” ou un “enculé”.
Sommeil et
toucher
- Dans le sommeil, la nuit, notre corps, nos sens ne sont pas
« comme morts », contrairement à une
opinion largement répandue. Les organes sensoriels de la
peau jouent un rôle dans les mouvements que l'on a pendant le
sommeil.
- D'une part, des enregistrements ont montré
que les battements du coeur s'accélèrent quelques
minutes avant nos mouvements puis se calment ensuite.
- D'autre part, pendant les rêves, l'excitation
sensorielle est parallèle au degré d'excitation
sexuelle. La peau est donc le sens qui reste vigilant pendant notre
sommeil et le réveil qu'il sera le premier à
percevoir ; nous sentons notre position avant d'entendre, de voir.
Le
toucher des
éléments
28/09/2001
Dr Lucien Mias
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