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Je
ne deviens pas vieux, je me patine ! 9
pages
- "À
partir d'un certain âge,
- les miroirs devraient
réfléchir
- avant de nous renvoyer notre image"
- J.B. Shaw
De tout temps l'homme a buté sur l'idée de sa
propre mort.
- Comment penser l'impensable ? A notre époque et
dans notre culture le rejet de la mort s'est étendu au rejet
des vieux. Nous hésitons d'ailleurs à employer le
terme de "vieux" encore plus celui de vieillard ; quant à
son féminin « vieillarde », il a
complètement disparu de l'usage.
- Ces mots font peur, on
les a remplacés par l'expression « personne
âgée ». Vous remarquerez qu'on n'emploie
le mot vieux que pour situer une personne en activité,
jusqu'à la retraite ; ensuite on parle de personne
âgée (catégorie sociale, non
personnalisée), qui devient le pendant d'adolescent.
- Le ton change lorsque nous évoquons nos
proches, nos parents, nos vieux de
coeur dont nous gardons, au plus profond de
nous, les images investies, intemporelles.
- L'enfant garde de sa
mère l'image de la femme la
plus jolie, l'adulte voit ses parents à l'image de ses
« vieux de tendresse » qui ne peuvent ressembler
à des vieillards.
- Si la vieillesse désigne la
dernière étape de la vie, comment la
repérer pour chacun d'entre nous ? Commence-t-elle
à 60 ans, à 70 ans ou même à
90 ans pour le futur centenaire ? Quelle est sa durée ? Le
vieillissement, qui concerne-t-il ?
- Il convient de se
réapproprier notre inscription dans le temps et notre vie
dans son histoire : la vieillesse n'est pas un passage
obligé avant la mort ; la démence n'est pas non
plus une menace en contrepartie de notre avancée en
âge.
- Nous serons encore plus nombreux à
atteindre des âges respectables, mais l'individu vit-il
vraiment plus vieux aujourd'hui qu'autrefois ?
- Il y a plus de deux
mille ans, Sophocle,
à plus de 90 ans, écrivit Îdipe
à Colone ; Socrate
mourut à 71 ans, mais il fut condamné
à mort ; quant à Platon, il vécut
jusqu'à 80 ans. Plus près de nous, la
célèbre courtisane Ninon de Lenclos
mourut à l'âge de 82 ans en 1705 et on dit qu'elle
eut un abbé pour amant le jour de ses 80 ans ; il existe au
musée Carnavalet le portrait d'un homme
âgé de 120 ans, Jean
Jacob, qui a eu l'honneur d'être
présenté au roi Louis XVI le 11 octobre 1789 et
à l'Assemblée nationale le 23, du fait de son
exceptionnelle longévité (né
à Sarsie au Mont Jura le 10 novembre 1669). Pour
l'espèce humaine Jeanne
Calment a atteint la limite d'âge
maximum, jusqu'à preuve du contraire, 122 ans.
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Le vieux... c'est l'autre
-
Je suis
entré en gérontologie comme on s'aventure sur un
continent à peine exploré et embrumé
de légendes...
-
L'angoisse qui a
saisi la secrétaire du groupe médical
où j'exerçais en libéral, quand je lui
ai dit que je n'allais m'occuper que des très "vieux
dépendants", était évidente. Comme si les rides étaient
contagieuses, ou si j'allais périr
contaminé par la vieillesse !
- Telle est l'incroyable fragilité
de l'être que ce fut cette jeune secrétaire qui
mourut la première...avant que le
premier Résident du service n'ait quitté sa vie
terrestre !
-
En vingt-cinq ans de
pratique de médecin de famille j'ai
côtoyé des vieux jeunes et des jeunes vieux. Dans
cette région de France la culture dominante fabriquait des
jeunes vieux n'ayant pour objectif de vie et de pensée que
l'argent.
- Catalan de prime enfance, joueur et frondeur par
nature, je n'étais pas en harmonie avec ces us et coutumes
et la vie me montrait de jeunes riches séniles...
-
L'un d'eux,
pourtant dévot, s'est suicidé à 33 ans
lorsque le cours de la laine dégringolant a
entamé ses avoirs. Nous avions fait le régiment
ensemble : sa journée se passait à tenir ses
comptes dérisoires de troufion (timbre et ticket de bus) sur
un calepin noir, déjà couleur de deuil de la vie.
Son image du Moi
était d'argent... vieilli !
- ...et des pauvres âgés mais
jeunes, dont le prototype était le cantonnier des Rousses
toujours enclin à " aller voir ce qu'il y avait
derrière la colline ".
-
La cinquantaine m'a
dépassé un jour en me donnant une hanche
chromée mais je ne me sentais pas vieux pour autant. En
effet, si je portais en Moi l'enfant que je fus, et dont je peux
toujours évoquer la présence, comme celle de
l'adulte en devenir que je suis, je ne ressentais pas les effets
négatifs du vieillissement.
- Ce jour, ou 68 ans
me talonnent, je ne me reconnais pas dans l'appellation non
contrôlée de « personne
âgée », malgré ma
démarche cahotique et mon souffle court (car je ne suis
jamais à court de "gauloises").
-
Quand je me suis
passionné pour la vieillesse en institution je ne
me suis pas autorisé un discours médical de
gériatre : mon expérience m'avait
orienté vers l'idée qu'une médecine de
la dépendance n'avait pas de chance de réussir si
elle ne réintégrait pas l'individu et la
vieillesse dans l'histoire de toute une vie, en somme pratiquer une
médecine à orientation gérontologique,
tenant compte de l'entourage et de l'écologie (environnement
externe mais également interne, écologie des
pulsions de vie limbiques).
-
Si dans le mot vieux il y a le mot
« vie », nous pouvons aussi y repérer le
pronom personnel « eux », qui fait du vieux un
autre plus âgé : le vieux c'est l'autre.
Mon père à 86 ans ne
voulait pas aller s'asseoir sur le banc de la placette à
Céret car il n'y avait que des vieuxÉ de 70 ans !
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- La vieillesse n'a
rien à voir avec l'âge chronologique. C'est
un état d'esprit.
- Il y a des "vieux"
de vingt ans, des jeunes de quatre-vingt-dix ans.
- C'est une affaire
de générosité de coeur, mais aussi une
façon de garder en soi suffisamment de complicité
avec l'enfant que l'on fut comme le décrit Mac Arthur (le
texte se trouve sur le site ; lien "Poèmes")
-
Quand devient-on un vieux ?
- Cette place de vieux, d'où je me
retire, je l'occupe malgré moi pour d'autres plus jeunes.
Ainsi pour mon fils j'ai été qualifié
de vieux lorsque je n'ai pas épousé ses valeurs
musicales de l'adolescence, dont le prince était Phil
Collins.
- Chaque
collectivité, confrérie, corporation a ses
vétérans ; ainsi dans le domaine sportif la
vieillesse n'attend pas le nombre des années et le valeureux
Pelous, brillant 2° ligne et capitaine du XV de France en
2009,
à 35 ans, fait figure de courageux vieillard. Depuis que les
techniques d'entraînement ont changé on peut jouer
à ce niveau à 35 ans, alors qu'à 29
ans j'étais le vieux du XV à
l'époque et l'arrêt du sport de haut
niveau a été pour mon "Moi" un coup de vieux
psychologique.
- Chacun de nous est resté, un jour, surpris par
un ancien portrait de soi :
- «
C'était Moi sur cette photo ? Comme j'étais jeune
! »
- C'était, ce n'est plus.
- Et ce trouble s'accentue si notre image dans le miroir
est confondue avec le visage d'un parent âgé,
déjà mort.
- Oscar Wilde
l'exprime dans le Portrait de Dorian Gray : « La
tragédie de la vieillesse, ce n'est pas de vieillir, c'est
de rester jeune. », montrant ainsi le décalage
entre la perception du regard des autres (que le miroir expose) et le
vécu personnel.
- Même si nous essayons de maquiller
l'âge (le maquillage), nous assistons
impuissants au vieillissement de notre image, sans encore ressentir les
effets du vieillir.
-
Or le sens de
vieillir, évoque aussitôt pour nous-même
la crainte de la mort. Cependant « personne, au fond, ne
croit à sa propre mort ou, ce qui revient au même
: dans l'inconscient, chacun de nous est persuadé de son
immortalité » comme nous le rappelle Freud.
- « Tout
autant que l'homme des temps originaires, notre inconscient est
inaccessible à la représentation de notre propre
mort, est plein de désirs meurtriers sanguinaires
à l'égard de l'étranger, et
divisé (ambivalent) à l'égard de la
personne aimée »
- L'inconscient,
chaudron en ébullition dans le cerveau limbique, ÇA
ne vieillit pas.
-
Le modèle
préventif du mauvais vieillissement
fondé
essentiellement sur des notions bio-psycho-sociologiques est
insuffisant : il faut inclure le fonctionnement du cerveau pluriel,
triple et unique à la fois.
-
- Le
modèle bio-psycho-sociologique amène
des
conseils, donnés par des soignants peu vieux, car c'est la seule discipline où les
soignants sont toujours plus jeunes que les soignés
et, de ce fait, n'ont pas le support du vécu
(l'expérience) qu'ils peuvent avoir quand ils soignent
à trente ans un adolescent en crise.
- La position
évasive des formateurs aux théories de Maslow,
quant à la sexualité de l'avancée en
âge, montre bien que cet inconscient par ailleurs connu,
n'est pas ici reconnu.
- Faut-il avoir peur de vieillir ?
-
Le vieillissement c'est la vie
Le vieillissement, c'est
un voyage à travers le temps et l'espace. Ce long voyage ne
se réduit pas à une étape, la
vieillesse.
- Le vieillissement
débute dès la naissance et s'achève
avec la destruction de l'individu.
-
Nous vieillissons
comme nous vivons, et non pas, selon la célèbre
formule d'Ajuriaguerra, comme nous avons vécu, ce qui
sous-entendrait que nous ne vivons plus lorsque nous vieillissons !
- Si nous nous
tournons vers le passé nous pouvons certes faire le constat
que nous avons vieilli comme nous avons vécu. Mais dans le
présent -qui sera du vécu plus tard - nous
vieillissons comme nous vivons.
Le terme de
vieillissement renvoie à deux notions : d'une
part celles qui renvoient à l'idée d'usure,
d'affaiblissement, de diminution, et d'autre part celles qui
évoquent la bonification, dont
bénéficie le vin par exemple, l'accroissement, la
maturation.
- L'immaturité
a l'excuse du jeune âge, et les parents invoquent souvent le
temps pour « mettre quelque plomb dans la cervelle de
l'enfant, en épargnant l'aile.»
- Le
vieillissement exprime à la fois une idée de
perte et une idée d'acquisition.
-
Or notre
société technologique réserve
à la jeunesse le bénéfice et
à la vieillesse le déficit : le terme de
vieillissement, appliqué à l'individu, a
gardé uniquement son coté péjoratif,
synonyme de perte.
-
Pourtant les
personnes âgées conservent la capacité
d'apprendre jusqu'à un âge avancé. Ceux
qui enseignent aux adultes ont été
impressionnés par les succès remportés
par les personnes d'âge mûr qui retournent aux
études après avoir élevé
une famille ou pris leur retraite, ou encore parce qu'elles veulent se
préparer à une nouvelle carrière.
- On serait
même tenté de reprendre le mot
célèbre de George Bernard Shaw, « C'est
gaspiller la jeunesse que de la laisser aux jeunes, en y ajoutant et
les études également...»
Dans
les sociétés africaines, à
transmission orale, il existe une accumulation progressive de la
personnalité, « le vieillissement se
pense avant tout en termes d'acquisition et de progrès
», comme le constate Louis-Vincent Thomas après
vingt ans de vie africaine.
Le
vieillissement est un processus qui s'inscrit dans la
temporalité de l'individu du début à
la fin de sa vie. Il est fait d'une succession de pertes et
d'acquisitions.
-
Le vieillissement c'est l'acquisition
-
Si le vieillissement
est vu sous l'angle de pertes, il faut d'abord se demander quels sont
les éléments que l'individu peut perdre, donc
qu'il a acquis tout au long de la vie : nous ne pouvons perdre que ce
que nous avons acquis.
-
Nous nous
façonnons, à notre insu, à l'image des
autres, de ceux qui activent notre limbique sans forcément
le savoir.
- Ce fut le cas
d'un professeur de sciences qui était un "enseigneur"...j'ai
aimé les sciences ; d'un instituteur qui frappait avec la
règle mes doigts joints, pour chaque faute d'orthographe...
et de cinq fautes j'arrivais à trente à la fin de
l'année scolaire. J'aime encore les sciences mais les
règles d'orthographe sont bloquées à
l'application car mes doigts souffrent encore !
- L'être
"aimé" n'est pas pris dans sa réalité
mais dans la représentation inconsciente qu'on s'en fait.
Cette représentation ne correspond pas à la
globalité de l'autre, mais à un trait particulier
perçu qui, différent pour chacun, le
caractérise (la
carte n'est pas le territoire).
-
La notion
d'acquisition peut se repérer dans une succession de
relations avec d'autres humains qui ont laissé trace. De
traces en traces, au fil du temps, le Moi se construit en accumulant
des couches successives.
- Nous
étions tous différents il y a un an de ce que
nous sommes aujourd'hui. Considérez-vous que nous sommes en
croissance et développement ou vieillissants?
-
Le vieillissement c'est la perte
- Dans les domaines de la
physiologie et de la psycho-sociologie, la perte s'évoque en
termes quantitatifs et qualitatifs : la déperdition
cellulaire, la perte des capacités, la
dégénérescence, la
dévalorisationÉ etc, qui font l'objet d'autres
exposés.
- La difficulté qu'on y rencontre est de fixer
la limite entre le normal et le pathologique.
-
Si nous faisons pencher le vieillissement du
côté de la perte, nous constatons qu'au point de
vue psychique, il concerne tous les temps de la vie et pas seulement le
dernier.
-
L'image du
Moi change à chaque perte et nous devons nous adapter.
Nous le faisons en nous investissant dans une autre direction. Il en
est ainsi tout au long de notre vie. Nous devons faire face
à de nombreuses pertes qui relancent notre recherche d'un
autre objet à aimer.
- Une perte n'est pas
toujours une fin, elle engendre le plus souvent une acquisition.
- En ce sens le Moi vieillit, s'enrichit, se
patine, c'est-à-dire qu'il est le
lieu où la dynamique de la perte et de l'acquisition
s'effectue, se stratifie.
- Donna Swanson (1978) exprime ses pertes et acquisitions de son Moi dans une partie d’un de ses poèmes :
« Je me souviens
de la façon dont ma mère me tenait, mon Dieu. Lorsque
j’étais blessée dans mon corps ou dans mon
âme. elle me prenait contre elle, caressait mon dos et mes
cheveux soyeux de ses mains chaudes. Oh mon Dieu, je suis tellement
seule ! Je me rappelle le premier garçon qui m’a
embrassée. C’était tellement nouveau pour nous ! Le
goût des lèvres jeunes et du maïs soufflé,
l’impression de mystères à venir.
Je me souviens de Hank et des bébés -
comment puis-je me les rappeler autrement qu’ensemble ? Ce sont
des tentatives gauches, maladroites des nouveaux amants que sont venus
les bébés. Notre amour a grandi en même temps
qu’eux. Et, mon Dieu, Hank ne semblait pas
s’inquiéter de voir mon corps épaissir et se faner
un peu. Il m’aimait toujours. Et il me touchait aussi. Cela ne
nous importait pas de n’être plus beaux. Et les enfants me
serraient tant contre eux. Oh Dieu que je suis seule !
Mon Dieu, pourquoi n’avons-nous
pas appris aux enfants à être fous et affectueux aussi
bien que dignes et convenables ? Voyez-vous, ils font leur devoir. Ils
arrivent dans leurs belles voitures ; ils viennent à ma chambre
me présenter leur respect. Ils bavardent gaiement et rappellent
des souvenirs. Mais ils ne me touchent pas. Ils m’appellent
Maman, Mère ou Grand-mère. Jamais Munnie. Ma mère
m’appelait Munnie. Mes amis aussi. Hank m’appelait Munnie
aussi. Mais ils sont partis. Et Munnie aussi. Seule reste la
grand-mère. Et Dieu qu’elle est seule ! »
-
Le temps est au coeur de la vie de l'être humain
- Le vieillissement comme
processus normal, est l'expression du temps qui passe, il colle
à l'histoire de la personne. Nous vieillissons comme nous
vivons, ni mieux ni moins bien, c'est une question
d'équilibre entre pertes et acquisitions.
- Quand les pertes ne sont pas compensées par
des acquisitions, le Moi se sèche, s'efface : c'est
peut-être cela la démence sénile.
- Le temps
tourne, il ne perd rien, même à attendre. Il passe
sans vieillir.
- Alors pourquoi la
notion de vieillissement, appliquée à l'adulte,
ne montre-t-elle plus que la face négative, liée
à la perte ?
- C'est comme si aucune acquisition ne parvenait
à combler le manque. Effectivement, l'acquisition
n'est pas l'envers de la perte, la notion
d'irréversibilité les sépare.
Ce qui est perdu l'est à jamais, aucune acquisition ne
remplacera la perte qui est « sans cesse
renouvelée tout au long de l'existence».
- Autrefois, le temps était un
« temps agricole », un « temps circulaire
», lié au cycle des saisons
et au rythme de la nature : répétition, faibles
changements d'année en année, souci de valoriser
ce qui est déjà fait.
- Avec
l'électricité (le "jour" ne finit plus) et les
avancées technologiques, est apparue une nouvelle notion du
temps, le « temps linéaire », c'est
à dire un « temps saccadé, temps de la
fébrilité, de l'intense activité, des
réalisations incessantes ; temps de l'efficacité
mais aussi de l'épuisement».
-
Le temps est au
coeur de la vie de l'être humain : temps physique (saisons,
ans), temps chronologique (enfance, adoÉ), mais aussi temps
psychologique (c'est à dire temps vécu et
verbalisé).
-
Le vieillissement différentiel
- Si le vieillissement est le temps de l'âge qui
s'avance, la vieillesse est celui de l'âge avancé,
sous-entendu vers la mort.
- Dans les discours
actuels, le mot vieillissement est presque toujours utilisé
dans un sens restrictif et à la place de vieillesse. Or le
vieillissement est un processus irréversible qui nous
concerne tous, du nouveau-né au vieillard. La vieillesse
n'est pas un processus comme le vieillissement, c'est un
état qui caractérise la position de l'individu
âgé.
- Mais comment
définir la vieillesse ?
-
C'est le
registre social qui définit la
« personne âgée » selon un
statut politico-économique. La retraite en marque
l'avènement, tout comme l'âge de la
majorité fait de l'adolescent un adulte qui vote. Marquage
autoritaire qui ne convient pas toujours à l'ensemble des
intéressés.Aussi a-t-on vu apparaître
une substitution d'étiquette.
- L'expression
« personne âgée »
désigne une catégorie sociale, comme une
corporation regroupe les individus qui appartiennent à une
même profession, ou comme le nom d'un pays sert de racine
à la désignation de ses habitants. Cette
composition de mots fait disparaître le sujet avec son
histoire personnelle, ses particularités, son
caractère : la « personne
âgée » devient un habitant de la
vieillesse. Elle correspond à une catégorie,
définie selon les critères sociaux
concernés : 60 ans pour la retraite et la carte vermeil, 70
ans pour le vaccin antigrippe, 75 ans pour les impôts locaux
!
-
La « personne
âgée » n'existe pas comme
entité individuelle, c'est une terminologie sociale qui n'a
pas de réalité humaine.
- Cela
n'empêche pas quelques-uns de décrire la
« personne âgée » avec ses us
et coutumes, ses façons de penser, de vivre, son
caractère, ses défauts. Tout ceci projette, pour
les plus jeunes, une image de la vieillesse assez effrayante qui ne
peut plus correspondre à un idéal à
atteindre, tel qu'il apparaît dans d'autres civilisations,
dans d'autres cultures notamment africaines ou l'avancée en
âge est pour la collectivité synonyme de savoir et
de sagesse.
-
À cette
« personne âgée » inscrite
dans le social, correspondent des éléments de
l'ordre de l'imaginaire, qui devraient nous permettre de
différencier un vieillard d'un adulte comme nous en
distinguons l'adolescent. Le corps est de toute évidence ce
qui nous fournit les éléments
caractéristiques de l'avancée en âge :
cheveux blancs ou calvitie, rides, réflexes moins rapides,
tassement de la colonne vertébrale, raideur, etc.
- Mais nous pouvons en avoir les uns ou les autres, sans
être socialement vieux, tout comme nous pouvons
être très âgés sans le
paraître.
- La
réponse médicale consiste à dire que
tout dépend de l'âge biologique.
- Oui, mais
l'âge de ses artères, un coeur usé, des
poumons encombrés, une prothèse de la hanche
n'ont jamais fait une « personne âgée
» !
-
La ménopause
inscrit la femme dans le temps. Comme nous avons retenu les
transformations pubertaires qui marquent le passage de l'enfance
à l'âge adulte, nous pourrions retenir cette
modification corporelle, comme élément qui signe
l'entrée dans la vieillesse et qui, du même coup,
déterminerait la vieille. Qui me suivra sur ce terrain ? Il
reste à la femme autant de temps à vivre que
celui écoulé depuis la puberté !
- Elle n'est pas vieille car elle ne se voit pas
vieille (vision du dehors, du miroir, du regard des autres). " Je ne
suis pas vieille car je ne me sens pas vieille " (vision du dedans). Ce
qui permet à ma tante, octogénaire de dire :
«Bien sûr je sais que je suis vieille, on me le
fait assez savoir, mais Moi, vois-tu, je ne me sens pas vieille
!»
-
La
définition proposée par la « Commission
ministérielle de terminologie auprès du
secrétaire d'État chargé des personnes
âgées » ne résout pas le
problème
«Vieux : qualifie une personne qui a vécu plus
longtemps que la plupart de celles qui l'entourent et à qui
il reste moins de temps à vivre que celui qu'elle a
déjà vécu. »
- Si je dois vivre autant que Jeanne Calment qui a
vécu jusqu'à 121 ans, je ne suis pas encore vieux
; si je dois mourir demain je suis un grand vieillard ce jour !
Ces
définitions ne permettent donc pas de définir
l'état de vieillesse, dégagée de la
notion du processus de vieillissement.
-
L'entrée en vieillesse
- Freud,
qui à 47 ans fixait l'entrée dans la vieillesse
à 50 ans « les gens n'étant plus
éducables », écrit à 53 ans
à propos de son voyage aux Amériques dans Ma Vie
et la Psychanalyse : « J'avais alors 53 ans, je me sentais
jeune et bien portant, le court séjour dans le Nouveau Monde
fit du bien au sentiment de ma propre valeur ; en Europe je me sentais
comme mis au ban ; ici, je me voyais accueilli par les meilleurs comme
leur égal. »
- Le bain narcissique, made in USA, redonne de la
jeunesse à Freud. Avant son voyage il se sentait exclu :
ça venait du dedans comme une impression de perte ; puis il
s'est vu accueilli par l'élite : ça venait du
dehors, son Moi a pu s'identifier à ce Moi idéal,
se revêtir d'images somptueuses qui ont redoré son
blason, et à nouveau il s'est senti, en dedans, jeune. Les
deux composantes, perte et acquisition sont présentes.
- Ceci explique comment la mise au ban de la
société de nos retraités peut les
précipiter dans une sensation de vieillesse qui se fixe, si
aucun apport qui les mette en valeur ne vient combler la fissure de la
pyramide.
-
Le
médical et le social ont tout autant de mal à
déterminer l'entrée dans la vieillesse.
-
Si pour les uns
l'âge de la retraite en marque le début, pour
d'autres c'est arbitrairement 75 ans, pour d'autres encore ce sont les
premiers signes de la dépendance. Comment alors
repérer le moment de l'entrée dans la
vieillesse ?
La clinique et la
lecture des écrits de ceux qui ont
évoqué pour eux-mêmes cette
entrée dans la vieillesse, semblent faire correspondre ce
moment avec un événement qui surgirait
brutalement. Cet événement s'assimilerait
à une perte, une de plus, une de trop, qui laisse le sujet
incapable de réélaborer la phase
dépressive et dans l'impossibilité de relancer
une nouvelle fixation sur un objet à aimer. L'individu
deviendrait alors vieux, c'est-à-dire qu'il s'inscrirait
dans la plainte, parfois hypocondriaque, dans l'image
négative : « C'est pas beau de vieillir
», cliché qui fait s'écrier le plus
jeune : « Plutôt mourir que finir ainsi !
-
Le vieux ne se sent
plus, ne se voit plus objet du désir, impression
confirmée par la société qui lui
signifie combien il est maintenant improductif, inutile.
-
L'entrée en vieillesse est donc
événementielle et prend l'aspect de n'importe
quelle perte : la mort d'un chat, le vol d'un
porte-monnaie, une chute dans la rue, un accident vasculaire, ou encore
le départ d'un fils...
- Mais cet événement s'inscrit dans
un moment dont il difficile de repérer la date.
- Pour Freud c'est finalement à 65 ans
qu'il a subi la perte qui l'a fait rentrer en vieillesse, pour Ionesco
c'est dix ans plus tard. Pour d'autres encore cet état
semble n'avoir jamais été vécu.
-
Plutôt mourir que vivre ainsi,
entonne le choeur des plus jeunes ou mieux portants, comme si cette
fin-là n'était pas aussi une façon de
vivre ou de mourir. Mais derrière ce voeu, d'autant plus
innocent qu'il n'engage pas celui qui le prononce, se masque le
désir de détruire cet autre insupportable. Ce
voeu de mort exprime une agressivité contre la vieillesse,
agressivité qui revêt parfois la forme de la
charité.
- Cicéron,
en 44 avant J.-C., dans son fameux traité sur la vieillesse,
écrivait : « On entend dire encore que les
vieillards sont d'humeur acariâtre, tourmentés,
irascibles et grincheux - et même avares, en cherchant bien.
Mais ce sont là des défauts inhérents
à chaque individu, pas à la vieillesse.
»
-
En résumé
- Le processus de vieillissement de chacun de nous s'effectue
tout au long de sa vie selon notre propre organisation psychique et
notre capacité à faire face aux
différents traumatismes qui touchent notre être
dans sa dimension corporelle, intellectuelle et sociale, mais il n'y a
pas de vieillissement de nos forces pulsionnelles qui donnent vie au
psychisme : le
désir n'a pas d'âge.
- Si nous analysons notre passé nous pourrons
faire le constat que notre vieillissement avec ses pertes et ses
acquisitions est la copie conforme de ce que nous avons
vécu.
Et,
ici et maintenant, ça continue... nous vieillissons comme nous vivons.
- Avec
l'avancée en âge, la perte de l'estime de soi
déclenche une dépression, à partir de
laquelle chaque individu peut poursuivre un vieillissement normal, ou
entrer dans n'importe
quelle forme de pathologie selon son
organisation personnelle préalable.
- L'entrée en vieillesse est un
événement qui surgit brutalement. C'est une
rupture du vieillissement continu (fait de pertes et d'acquisitions),
rupture causée par une perte en trop.
- L'état de
vieillesse se caractérise par la dépression, le
repli sur soi, le désinvestissement du monde
extérieur.
- Il n'est pas
à confondre avec le processus du vieillissement, processus
marqué par une suite de pertes et d'acquisitions.
L'état
de vieillesse n'est pas inéluctable au terme de la vie. Nous
pouvons mourir sans avoir traversé cette étape.
- Bibliographie
- - Laborit H., L'esprit du
grenier, Grasset, Paris, 1990, 295 p.
- - Maisondieu J., Le
crépuscule de la raison, Centurion, Paris, 1989, 222 p.
- - Morris D., Le singe nu,
Livre de poche, Paris, 1977, 318 p.
- - Messy J., La personne
âgée n'existe pas, Payot, Paris,1994, 183 p
- - Mishara B.L.- Riedel R. G.,
Le vieillissement, PUF, Paris, 1985, 268 p.
- - Thomas L-V., Rites de mort,
Fayard, Paris, 1985, 294 p.
- - Ploton L., La personne
âgée, Chronique sociale, Lyon, 1990, 244 p.
-
Dr Lucien Mias
01/04/2009
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