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Habituellement la croissance se fait progressivement, par petites étapes et chaque nouvelle étape est rendue possible grâce à un sentiment de sécurité, celui de réaliser l'exploration d'un territoire inconnu à partir d'un havre sûr, d'oser parce qu'une retraite est possible.
Nous pouvons prendre l'exemple du bébé qui quitte les genoux de sa mère pour explorer l'environnement inconnu.
Il est très caractéristique qu'il commence par regarder ce qui est dans la pièce tout en s'agrippant à sa mère. Ensuite il tente une petite exploration, tout en s'assurant continuellement qu'il peut toujours compter sur la sécurité procurée par la mère. Ces explorations prennent de plus en plus d'envergure. De cette manière, l'enfant parvient à explorer un monde inconnu et dangereux. Si tout à coup la mère vient à disparaître, il sombre dans l'anxiété, cesse de s'intéresser à l'exploration du monde, souhaite seulement retrouver la sécurité et peut même régresser au lieu d'essayer de marcher, il se met à ramper. Nous pouvons sans difficulté généraliser à partir de cet exemple. L'assurance de la sécurité permet aux besoins plus élevés de se manifester, aux pulsions d'émerger et d'être maîtrisées et intégrées. Mettre en danger la sécurité signifie provoquer une régression à un état antérieur. Ce qui veut dire que s'il faut choisir entre la sécurité et la croissance, c'est généralement la sécurité qui l'emporte. Le besoin de sécurité est prépondérant sur le besoin de croissance. Cela entraîne un développement de notre formule de base. En général, c'est seulement lorsqu'un enfant se sent en sécurité qu'il ose faire ce qu'il faut pour grandir. Son besoin de sécurité doit être gratifié. On ne doit pas précipiter son évolution, parce que les besoins de sécurité non gratifiés vont resurgir et demander à être satisfaits . Plus les besoins de sécurité sont satisfaits moins ils ont d'importance pour l'enfant et moins ils le retiendront, moins ils diminueront sa hardiesse. Comment pouvons-nous savoir que l'enfant se sent suffisamment en sécurité pour oser choisir de faire un pas en avant. En dernière analyse, le seul moyen que nous ayons c'est d'observer ses choix, autrement dit il n'est capable d'avancer que lorsque les pulsions de progrès contrebalancent les pulsions de régression ou de stagnation, lorsque le courage a vaincu la peur. En dernière analyse tout individu, même l'enfant doit faire ses choix lui-même. Personne ne peut choisir pour lui car cela l'affaiblit, le coupe de sa vérité intérieure et l'empêche de percevoir ses tendances intérieures au travers d'une expérience, de ses propres pulsions, jugements, sentiments et de différencier cette spontanéité de l'intériorisation des habitudes des autres. 
Choix et apprentissage
A partir du moment où la boite est entre ses mains, il se sent libre d'en faire ce qu'il veut. Il l'ouvre, se demande ce que c'est s'en rend compte, exprime bonheur ou désappointement, remarque comment est effectué le rangement du contenu, trouve le mode d'emploi, touche l'acier, se rend compte du poids des divers éléments et de leur nombre, etc. Il fait tout cela avant même d'essayer de réaliser quelque chose avec le jeu. Ensuite lui vient l'idée d'essayer de faire quelque chose avec. Ce peut être simplement d'assembler un élément avec un autre, il a ainsi le sentiment d'être arrivé seul à faire quelque chose, d'avoir réussi quelque chose et il sent qu'il n'est pas incapable de se servir de cet objet. 
Quelle que soit la suite, qu'il continue à s'intéresser au jeu de construction, qu'il en fasse une utilisation de plus en plus complète et qu'il arrive donc à des réalisations de plus en plus conséquentes, ou bien qu'il le laisse complètement de côté, le premier contact qu'il aura eu avec ce jeu de construction restera très significatif. Les conséquences d'une expérimentation active peuvent être résumées de la manière suivante : il y a un développement physique émotionnel et intellectuel. Il y a reconnaissance et une exploration de ses capacités. Il y a initiation à une activité créatrice. Cela lui permet de trouver son propre rythme, dans la réalisation d'une tâche qui correspond à ses capacités actuelles, ce qui lui évite de vouloir trop faire. Cela lui donne une habileté qu'il pourra utiliser dans d'autres circonstances car chaque fois que l'on prend une part active à une tâche si modeste soit-elle, c'est l'occasion de découvrir ce qu'il y a d'intéressant en elle. 
La situation précédente peut être opposée à celle où la personne apporte le jeu de construction à la maison et dit à l'enfant : "C'est un jeu de construction, je vais te l'ouvrir." Elle le fait et lui montre les différentes choses qui sont dans la boite : le mode d'emploi, les pièces diverses et pour couronner le tout, elle construit elle-même un des modèles les plus compliqués, disons une grue. L'enfant a pu être intéresse par ce qu'il a vu faire, mais nous voudrions souligner un aspect de ce qui s'est vraiment passé. L'enfant n'a eu aucune occasion de s'engager lui-même dans le jeu de construction avec son corps, son intelligence, ses sentiments ; il n'a eu aucune occasion de se mesurer à quelque chose qui était nouveau pour lui de trouver ce dont il était capable, de découvrir de nouveaux centres d'intérêt. La construction de la grue a pu avoir pour lui une autre signification. Il peut avoir ressenti qu'on lui demandait de faire la même chose sans qu'il ait eu l'occasion de se préparer à une tâche aussi compliquée. Le but proposé est l'objet réalisé alors qu'il devrait être l'expérience de découverte et de construction. Aussi quoi qu'il fasse ensuite lui-même, cela lui paraîtra de peu d'importance à côté de ce qui a été fait pour lui par quelqu'un d'autre. Il n'a pas ajouté à son expérience le fait d'avoir affronté pour la première fois quelque chose de tout à fait nouveau. En d'autres termes, il n'a pas grandi de lui-même, mais a reçu quelque chose qui lui était imposé de l'extérieur.
S'il en est ainsi, si l'enfant doit finalement faire lui-même les choix grâce auxquels il grandit et qu'il va identifier à partir du plaisir subjectif qu'ils lui procurent, comment faire coïncider cette volonté de vérité intérieure dans la vie de l'individu avec la nécessité de l'aide reçue de l'environnement ? Car il a besoin d'aide. Sans aide, il est trop effrayé pour oser agir. 
Comment pourrons-nous l'aider à grandir ? 
Comment risquons-nous de perturber sa croissance ? 
A l'opposé de l'expérience subjective du plaisir, il y a l'opinion des autres (amour, respect, approbation, admiration, reconnaissance, dépendance). Puisque la présence des autres est d'une importance vitale pour le bébé et l'enfant, la peur de les perdre en tant que source de sécurité, de nourriture, d'amour, de respect, etc.) est une crainte terrifiante. L'enfant qui doit choisir entre ce qui lui fait plaisir et ce qui lui procure l'approbation des autres, choisira généralement l'approbation des autres et alors il refoule son plaisir, le laisse s'éteindre ou bien il n'y fait pas attention et ne le soumet plus au contrôle de sa volonté. 
En général va se développer une certaine désapprobation à l'égard du plaisir, un certain embarras, une dissimulation à son propos, ce qui aboutit finalement à l'incapacité d'en faire une expérience authentique.
Le choix essentiel , la croisée des chemins se fait entre la fidélité à sa personnalité propre, ou à la personnalité des autres. Si le seul moyen d'être fidèle à soi-même est de se séparer des autres, l'enfant sacrifie habituellement sa propre personnalité, pour la raison que l'on déjà dite : la sécurité est le besoin essentiel et primordial de l'enfant. Elle est bien plus nécessaire que l'indépendance et la réalisation de soi. Si l'adulte le force à choisir entre deux exigences vitales, l'enfant choisira la sécurité même au prix de sa personnalité et de son développement.
.../...»
avril 1990
Éditique : Dr Lucien Mias

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