Rites
de mort pour la paix des vivants 4
pages
Thomas L-V., Rites de mort, Fayard, Paris, 1985, 294 p.
Un livre très documenté aussi sur les modalités des rites mortuaires dans le monde. Étonnant.
Aujourd'hui, la mort a « changé de
mains » dans notre société de
consommation, c'est devenu l'affaire de spécialistes, les
thanatocrates. Ces nouveaux maîtres de la mort exercent leur
art dans le secret des hôpitaux et des salons
funéraires : notre société est ainsi
victime d'une expropriation de la mort, suite logique d'une «
expropriation de la santé ».
La bonne mort d'hier n'est plus de saison. Le laboureur
sentait sa mort prochaine, il en avait connaissance et en dirigeait le
rituel ; cela nous paraît maintenant presque
indécent et notre soulagement aujourd'hui viendrait
plutôt de ce qu'il n'en ait rien pressenti et qu'au moins
«il ne se soit pas senti mourir». En quelque sorte,
la bonne mort de nos jours est brutale, inopinée et
solitaire.
Les attitudes face à la mort ont
évolué au cours des siècles,
comme le décrit Philippe Ariés.
« Nous mourons tous » au
début du Moyen Âge,
époque de la mort apprivoisée, où la
mort est le destin commun de celui qui meurt et de ceux qui l'entourent
: construction en commun des cathédrales. (environ de 800
à 1500, de Charlemagne à François
1°)
À la fin du Moyen âge,
l'éclairage de la mort passe du «nous mourons
tous»" à « la mort de moi »,
prise de conscience de la mort de chacun comme "fin de l'individu" : on
est enseveli en terre dans l'église ou son enclos.(1500
à 1850)
Au siècle Romantique, c'est
"la mort de toi" qui envahit le vécu de la mort. Le souvenir
cultivé dans un deuil alimenté des
années durant aide à nier la
réalité de la séparation :
construction de caveaux somptueux. (1850-1950)
Au milieu du vingtième
siècle, la mort est devenue un échec de
la société qui valorise la jeunesse, la
santé, la réussite, l'avoir : la mort devient un
objet de la société marchande (6 milliards de
chiffre d'affaire).
On est passé du destin commun (nous mourons
tous) au destin individuel (la mort de moi), puis au destin relationnel
(la mort de toi} pour arriver au destin escamoté (le
défunt devient vraiment le disparu) : la mort a
quitté le domicile pour l'hôpital, est
cachée aux enfants, les rituels (veillée
mortuaire, deuilÉ) ont disparu. Avec
l'incinération, la symbolique du feu devrait
réapparaîtreÉ
Une seule survivance : la Toussaint.
Ce grand rite annuel semble à peu
près unanimement observé dans la
société occidentale de tradition
chrétienne. Il est, dans certains pays, l'occasion de
ranimer des traditions parfois insolites.
En Espagne, par exemple, des rites alimentaires s'ajoutent
aux prières, bougies et visites au cimetière : on
communie symboliquement avec les morts en dégustant les
pâtisseries confectionnées en leur honneur, entre
autres les « os des saints » en pâte
d'amandes.
La même intention anime les Mexicains pour qui
la Fête des morts est chaque année l'occasion
d'une kermesse populaire dans une débauche de couleurs, de
bruits, de friandises macabres. Les morts y sont conviés,
alertés par le glas, représentés par
leurs portraits exposés, les crânes en sucre
marqués à leurs noms, les squelettes qui, dans
des postures souvent facétieuses, sont exhibés
dans les devantures.
La symbolique qui sous-tend ces curieuses coutumes est en
référence avec des fantasmes universels.
L'homme devant la mort