Bien que cette croyance répandue ne soit pas entièrement erronée, elle mérite, selon nous, d'être nuancée. Si l'on accepte l'idée que l'être humain se développe de la naissance à la mort, que la mort est la «dernière étape de la croissance», force est aussi d'accepter qu'aucun développement ne s'inscrit dans une trajectoire définie d'avance, l'aléatoire peut se poursuivre jusqu'à la fin de la vie y compris à l'approche de la mort.
Il n'est pas rare de voir des personnes très
raisonnables et rangées pendant la majeure partie de leur
vie adulte devenir extravagantes ou aventurières en
vieillissant : nous vieillissons comme nous vivons.
Il est aussi possible qu'une personne qui a toujours
été soumise à son conjoint ou
à sa conjointe et brimée dans son
épanouissement en arrive à s'émanciper
après la mort de son partenaire et à
connaître un changement radical et positif de son mode de vie.
Même si la personnalité se construit au
cours de l'âge mûr, certains traits de sa
personnalité restés latents peuvent se manifester
à un moment précis et d'une façon
imprévisible, en fonction des circonstances.
Durant toute l'existence, il nous arrive de
"régresser"
avant de "progresser" vers autre chose ou tout simplement de
réagir de
façon inattendue.
Pourquoi devrait-il en être autrement pour le malade ?
Celui-ci, doux et pondéré toute sa
vie, peut devenir agressif, grincheux ou instable sous l'influence de
la maladie.
Celui-là, depuis toujours profondément
athée, peut se convertir. Quant au suivant, il peut remettre
en question ses convictions profondes.
On comprendra aisément qu'une personne naturellement enjouée, positive et sereine puisse devenir triste, amère et tourmentée à la veille de la mort, sans qu'elle soit capable de changer ses dispositions intérieures qui font sa personnalité. Les procédés adaptatifs qu'elle a valorisés et utilisés toute sa vie peuvent s'effondrer en dernier ou lui paraître inadéquats.
Un homme qui a toujours tout dirigé durant son existence et qui perd tout contrôle sur sa propre vie ne mourra pas nécessairement comme il a vécu. Sur le plan strictement physiologique, une intellectuelle qui perd ses facultés mentales ou un communicateur qui n'a plus l'usage de la parole sont privés d'une partie essentielle d'eux-mêmes et cette privation risque de susciter une grande amertume.
Nous savons tous comment nous aimerions finir nos jours,
mais qui sait réellement ce qu'il en sera ?
Les proches disent souvent qu'ils ne reconnaissent plus dans
le malade la personne qu'ils ont connue et aimée.
Une bonne façon de l'accompagner est alors de
l'accepter tel qu'il est actuellement.