« I - Un constat de départ ...
En effet, leur définition même oppose
le professionnel et le bénévole : est
bénévole, dit le dictionnaire, celui qui fait
quelque chose sans y être obligé et gratuitement ;
est professionnel celui qui exerce une occupation dont il tire ses
moyens d'existence.
De la même façon on opposera :
Par la simple définition de ces deux mots, nous
pointons d'emblée les antagonismes latents qui vont
compliquer les rapports entre bénévoles et
professionnels.
Il est toutefois important que nous prenions conscience
que nous sommes tous, à différents
degrés et selon les moments, en situation d'être
tantôt bénévoles tantôt
professionnels, et que nombre des difficultés ou tensions
que nous rencontrons dans notre vie quotidienne peuvent s'expliquer par
le fait même que, selon que nous nous situons comme
bénévole ou dans une fonction de professionnel,
nous nous faisons porteurs de valeurs extrême- ment
différentes, voire le plus souvent contradictoires.
II - Quelles sont les valeurs véhiculées par ces deux attitudes ?
À chacun de gagner sa place dans un monde où celui qui n'avance pas recule et qui a tendance à développer l'individualisme, le chacun pour soi, qui génère souvent chez nous l'impression d'être pris dans une course en avant effrénée, épuisante. Pour ceux qui n'ont ni les capacités, ni les motivations suffisantes, pour ceux qui ne sont pas des gagnants, il n'y a pas d'autre alternative que de se réfugier dans l'anonymat en essayant de se faire oublier ; le prix à payer en est une certaine forme d'irresponsabilité, de démotivation.
Tout en étant schématique, ce tableau
des valeurs du monde professionnel recouvre une
réalité qui peut paraître
négative et ne l'est cependant pas.
Loin d'être des valeurs à rejeter,
elles sont des valeurs nécessaires,
génératrices de progrès importants
pour la société, porteuses de
réalisation et d'accomplissement personnel, même
si le prix à payer nous paraît parfois
très lourd.
Il semble donc que le monde professionnel appelle chacun d'entre nous à développer notre besoin d'être valable, mais prend très peu en compte notre besoin d'aimer et d'être aimé. Celui-ci va devoir trouver à s'exprimer ailleurs, à travers d'autres valeurs telles que la tendresse, la gratuité, l'écoute, l'altruisme, la confiance, le partage, la confirmation, la vulnérabilité ou le pardon, qui correspondent aussi à nos aspirations les plus profondes. Cependant, dans le monde où nous vivons, elles apparaissent de plus en plus comme des valeurs privées, qui ne peuvent être vécues que de façon privée, dans le cadre de nos maisons, de nos familles.
Que se passerait-il si nous nous mettions à vivre ces valeurs dans le cadre de nos entreprises et de nos administrations ? Cette révolution est difficilement envisageable !
Alors, nous nous sommes organisés pour pouvoir
vivre l'ensemble de ces valeurs qui nous sont toutes
nécessaires, mais surtout pas en même temps,
surtout pas dans les mêmes lieux, et nous sommes tous
devenus, sans le savoir, un peu schizophrènes en quelque
sorte, en séparant par une cloison étanche le
monde du travail et celui de la maison.
À partir de cette constatation, nous pouvons
émettre l'hypothèse que le mouvement associatif
dans son ensemble, dans lequel on retrouve la majorité des
bénévoles, répond à cette
nécessité impérieuse de jeter des
ponts entre les valeurs privées, vécues au sein
de la cellule familiale, et les valeurs professionnelles.
Si notre époque reconnaît actuellement l'importance grandissante des associations de bénévoles, c'est qu'elle en perçoit l'urgent besoin.
Vouloir que l'État et l'Administration prennent
tout en charge n'est plus de mise aujourd'hui et aboutirait
à une sorte de totalitarisme. Le
bénévole apparaît de plus en plus comme
celui qui apporte un supplément d'âme et
d'humanité dans un monde qui tend à devenir de
plus en plus technocratique et déshumanisé.
Il serait donc avant tout porteur de ces valeurs
privées que le monde professionnel a tendance à
ne pas cultiver, voire à rejeter parfois, trop
occupé qu'il est à cultiver d'autres valeurs,
tout aussi importantes d'ailleurs, même si elles parlent
moins à notre coeur et à notre
affectivité.
Sans opposer valeurs privées et valeurs
professionnelles, il s'agit pour nous de comprendre que, si elles sont
complémentaires, elles paraissent d'abord contradictoires.
C'est ce qui explique, en grande partie, les
phénomènes de méfiance qui se
développent instinctivement dans les premiers contacts entre
bénévoles et professionnels, car pour le
professionnel quel qu'il soit, l'irruption soudaine d'un
bénévole dans son champ d'activité le
renvoie aussitôt à son manque, l'amenant
à se poser la question suivante : « Que vient donc
apporter ce bénévole que je n'ai pas su donner,
moi le professionnel ? »
Par sa seule présence, le bénévole témoigne que l'efficacité, le savoir, la compétence ne suffisent pas et qu'il manque ces valeurs dites privées.
Dans un premier temps, il représente donc une menace pour tout professionnel.
Or il est toujours très inconfortable et insécurisant d'être renvoyé à ses manques, à ses limites, et d'être en contact avec les doutes sur nous- mêmes que nous avions enfouis et cachés. Nous sommes rarement reconnaissants envers celui ou celle qui vient ainsi mettre le doigt sur cette partie cachée de nous-mêmes que, pour diverses raisons, nous nous empêchons de cultiver.
III - Pour le professionnel, deux attitudes possibles...
Puis j'insisterai sur leur manque de formation : « Tout le monde ne peut pas tout faire ; il y a un minimum de formation à avoir, sinon les conséquences peuvent être désastreuses. » Une interpellation légitime, car le professionnel est responsable de ce qui se passe dans son établissement et sait bien que la bonne volonté et le goût de la relation ne suffisent pas à régler les problèmes complexes auxquels il est confronté.
Enfin, j'irai jusqu'à user de mon pouvoir pour mettre définitivement hors-Jeu celui ou celle qui vient déranger mes habitudes, ou pire encore bousculer mes certitudes.
2. Soit le professionnel que je suis va accepter, plus ou moins vite, l'interpellation toute personnelle que lui renvoie le bénévole.
J'entre alors dans un chemin qui va m'amener à reconnaître que je ne suis pas tout-puissant, que je suis limité, qu'il y a des choses que je ne peux donner et qu'il y a de la place pour d'autres. Je vais alors pouvoir m'ouvrir à ces autres valeurs dont je suis le premier à reconnaître l'importance dans ma vie privée, mais que le monde professionnel dans lequel je vis m'empêche le plus souvent de cultiver.
Nul d'entre nous ne peut prétendre se suffire à lui-même, même si nous vivons souvent dans cette illusion. L'autre est celui qui vient me compléter, me rappeler ce manque qui est en moi, et c'est l'essence même de toute relation humaine. C'est dans la mesure où chacun est pleinement conscient des valeurs qu'il représente qu'un partenariat fécond peut alors s'instaurer entre les deux partis
Conclusion
Quelle que soit
l'évolution des milieux professionnels vers les valeurs
portées par les bénévoles, ceux-ci
resteront indispensables parce que complémentaires, et que
chacun est appelé, à sa façon,
à assumer sa différence. Si parfois la tentation
du professionnel est de vouloir se suffire à
lui-même, la tentation du bénévole est
d'un autre ordre, mais si peu différente celle de se vivre
comme le représentant du bien et comme seul porteur
d'humanité.
Le professionnel et le bénévole
peuvent se retrouver, au-delà des compétences de
l'un et de la disponibilité de l'autre, dans un chemin
d'humilité sans cesse à réemprunter.
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