"Si l'infirmière n'a pas le temps de recueillir les données nécessaires à son action professionnelle pour agir efficacement, de quelle activité s'occupe-t-elle donc ?Sauf cas d'urgence où tout le personnel est mobilisé, faut-il que l'infirmière ne joue qu'un rôle d'appoint aux membres d'une autre profession ou exercer sa propre profession ?" Éveline Adams, Être infirmière, Les éditions HRW, Montréal, 1983, 137 p.
« La vérité ne triomphe jamais, ce sont les imbéciles qui finissent par mourir. » Pauli
S'indigner ne sert à rien : le phénomène de l'allergie au futur (la résistance au changement) partout si répandue, suscite des réactions corporatistes chez les infirmières et les médecins.
Chacun a peur parce qu'il sent bien qu'il s'éloigne de plus en plus du sein maternel «fonctionnaire», de la cité aux murs épais et nettement tracés, si fixes, si rassurants...
Il lui faut tous les dix ans abandonner toute une série de notions laborieusement acquises, reconstruire ses techniques et peut-être sa philosophie de l'existence. Beaucoup détestent cela : c'est l'éternelle question des statiques et des dynamiques.
Il existe des périodes critiques où le nouveau risque d'être accepté pourvu qu'on emploie la stratégie appropriée.Avant ces périodes qui correspondent à une lente maturation des esprits, il est tout à fait impossible et très dangereux d'essayer de se faire écouter.
Avant ces périodes, même les expériences que les opposants consentent à faire ratent, parce qu'ils n'ont pas la volonté ferme de les mener à bien et se laissent arrêter par les premières difficultés sous prétexte qu'elles sont insurmontables.
Ceux qui ont manifesté l'opposition plus acharnée l'oublient complètement quand l'évidence les force à se rendre. Et ils lutteront avec autant de rage contre la prochaine vérité-pas-mûre.
« On ne saurait prétendre que les croyances d'un groupe ne sont qu'un système de raisonnements justificatifs et de mythes visant à fortifier sa cohérence ou son organisation. Cet aspect correspond à une fonction adventice de ces croyances.
Leur origine s'explique d'abord par des phénomènes plus prosaïques.En premier lieu, par le fait que la plupart des membres de chaque groupe ressentent des besoins communs du fait qu'ils partagent une même situation ou assurent un même rôle.
En second lieu, par le fait de l'uniformité de l'information, parmi les membres du groupe, au moins après la constitution du dit groupe. Cela est tout spécialement vrai dans les groupements organisés comme les églises, les partis, les syndicats qui ont une doctrine de base, détenue et répandue par une autorité et des cadres directeurs.Mais même là où il n'y a pas à proprement parler endoctrinement et propagande, dans un groupement de parenté de localité ou d'affinités diverses, les membres tendent à professer des opinions analogues dans la mesure même où ils sont stimulés par des soucis, des objets et des projets communs et vivent à peu près dans un même champ social. Dans le cadre familial notamment, l'éducation, l'exemple, les thèmes de la conversation quotidienne provoquent chez l'enfant une sorte d'imprégnation extrêmement tenace. Il s'établit ainsi certains standards d'attitudes et de valeur qui deviennent des centres de référence ou de contrôle.
Un caractère majeur de ces croyances collectives est en effet leur résistance au changement en dépit des faits nouveaux qui peuvent survenir dans leur environnement social. Plusieurs facteurs contribuent à cette résistance :
D'abord le phénomène psychologique très général de l'intégration. Au niveau du groupe comme au niveau de l'individu, l'ensemble des notions et des valeurs admises tend à fournir un «corps» un filtre qui s'interpose en quelque sorte entre les gens et ]e monde réel. Plus exactement, il n'y a pas psycho-socialement parlant, de monde réel organique par lui-même, mais des données qui sont structurées, arrangées en fonction de certains cadres cognitifs et affectifs préalables. Ces cadres sont variables selon chaque culture et chaque groupement intérieur à ces cultures qui constituent comme autant de centres de perspectives : ils opèrent sur les données offertes tantôt des prélèvements partiels, tantôt des «distorsions» qui ont pour effet de conformiser les faits aux croyances et aux attitudes préalables.
Le second facteur de rigidité tient au contrôle latent ou manifeste du groupe sur ses membres, contrôle qui s'exerce de façon inhibitrice par la crainte qu'a le sujet d'être rejeté du groupe s'il met en question les croyances et les idéologies communes ; et de façon plus positive par le soutien que trouvent les sujets dans la pensée que tous les autres membres demeurent fidèles aux croyances établies. À la limite il s'ensuit que «personne ne croit plus, mais chacun croit que les autres croient»
Un autre caractère typique des croyances collectives est une tendance à valoriser le groupe au point d'en faire une sorte d'entité transcendante à ses membres en dévalorisant simultanément les autres groupes conçus comme inférieurs ou dangereux.
Les croyances et les opinions s'expriment par des mots. L'immense majorité des hommes ne jugent pas sur les choses, sur les faits, mais sur leurs représentations des faits, sur des images, des schémas anticipés. Entre le monde et nous s'intercalent sans cesse des «clichés» ou «stéréotypes». La seule puissance des mots fait de leur maniement un considérable moyen de propagande et de distorsion systématique.
De même, les préjugés, sont au jugement informé, ce que les clichés sont à la vision directe. Comme eux, ils préexistent dans la conscience collective avant que tel individu ne les fasse siens. En même temps, ils localisent certains instincts de l'inconscient collectif. Tout préjugé est un schème, ou un thème, aussi simpliste que péremptoire, pouvant servir de moule à un nombre indéfini d'incarnations particulières. Parmi les plus vivaces, citons les préjugés raciaux (anti-nègres ou antisémites) ; les préjugés religieux (concernant les «hérétiques», ou spécialement les ministres d'un culte: anticléricalisme); les préjugés moraux (rattachés notamment aux tabous sexuels) ; enfin les préjugés de classe.
Un préjugé ne peut disparaître que lorsqu'il ne sert plus de dérivatif à un état de tension, ou de symbole de solidarité vis-à-vis d'un groupe rival. La thérapeutique sociale, contre les préjugés collectifs qui conduisent à la brimade et à la guerre, nécessite la mise en oeuvre simultanée de la psychologie sociale, de la psychiatrie et des sciences économiques et politiques.
Chez l'adulte, le préjugé ne sera plus seulement reçu, retenu, mais soutenu par une justification rationnelle : on invoquera de prétendues réalités historiques, ou encore telle expérience personnelle, pour légitimer l'antipathie raciale. L'attitude devient donc p]us cohérente, plus systématique. Toutefois, le préjugé racial ne saurait s'expliquer complètement à partir de l'affectivité agressive (fruste ou rationalisée), il est aussi un phénomène sociologique. Tout sermon moral, et peut être même tout effort individuel, reste impuissant à le déraciner : il persiste jusqu'à ce qu'un changement soit survenu dans l'ensemble des conditions psychosociales qui lui ont donné naissance: sécurité assurée, solution réelle des conflits d'intérêt.
Tel est bien le cas qui se présente dans les États du Sud des USA, où les blancs, au nombre de un pour trois noirs, détenant la grande majorité des biens fonciers ou des affaires, sont hantés par une crainte latente. »
Adam E., Être infirmière, Les éditions HRW, Montréal, 1983, 137 p.
« Adopter un modèle conceptuel, avec les conséquences que ce peut avoir sur la pratique, la formation et la recherche, constitue pour certains un changement radical ; pour d'autres, il ne s'agit que de changer les mots, car le modèle ne leur apporte rien de substantiellement différent.
Notre façon habituelle de concevoir la profession n'est souvent pas suffisamment claire et précise pour pouvoir être facilement communiquée, En effet, notre image mentale de la profession est souvent si floue que les mots pour la décrire n'arrivent pas aisément. Un tel manque de clarté conceptuelle influe sur notre façon d'être infirmière.
Le changement, d'abord individuel et ensuite collectif, consiste à rendre claire et explicite notre représentation mentale, à préciser ce qui est imprécis, et à trouver les mots pour l'exprimer. Dans la mesure ou notre cadre conceptuel est actuellement incommunicable, l'adoption d'un schéma complet et explicite constitue un changement important.L'une des façons explicites et complètes de concevoir la profession d'infirmière peut correspondre à celle de Virginia Henderson. D'autres infirmières réagissent aussi de cette manière à différents modèles conceptuels, ceux-ci représentent ce qu'elles ont toujours cru ou pensé, mais elles ne trouvaient pas les mots pour communiquer clairement leur pensée. Dans toutes ces situations, le modèle n'est que l'explicitation d'un concept déjà élaboré ou en voie d'élaboration .
Ainsi le changement à opérer est faible ou important selon l'infirmière, mais quel qu'en soit le degré, l'adoption officielle d'un cadre conceptuel constitue toujours un changement consenti, par opposition à ceux qui surviennent indépendamment de notre volonté, comme les changements climatiques, ou à ceux qui se produisent presque à notre insu, comme l'évolution d'un sentiment personnel.Changer, selon Littré, c'est céder une chose pour une autre, prendre en échange, et le changement c'est la transformation de ce qui change ou ce qui est changé.
Un changement personnel, c'est-à-dire un changement intérieur est souvent lent, long et pénible. Se remettre en question, risquer sa propre façon d'être, cela effraie, et. même si la transformation s'avère avantageuse, le processus lui-même ne va pas toujours sans difficulté. Il en va de même pour un changement professionnel ou collectif. Abandonner une certaine façon d'être infirmière pour en adopter une autre, plus précise, peut sembler également dangereux, d'autant plus qu'il n'existe aucune garantie de réussite. L'élément de risque n'attire pas tous les êtres, et il est relativement facile de se convaincre que le refus du changement élimine tous les risques. Il y a peut-être lieu ici de se rappeler que tout change constamment.
Qui n'a pas entendu parler de la philosophie d'Héraclite selon laquelle tout est devenir ? Pourtant, les choses semblent être stables, voire immuables. Lewin a décrit la situation de "non-changement" comme un état d'équilibre quasi-stationnaire. Ceux qui résistent au changement tentent de maintenir l'équilibre acquis même s'il est illusoire, et ceux qui veulent apporter un changement déplorent cet équilibre. Mais les uns et les autres s'entendent pour dire que plus ça change, plus c'est la même chose ! Supposons que les infirmières d'une école, d'un hôpital, ou de tout autre établissement soient persuadées qu'il est nécessaire d'adopter un modèle conceptuel explicite afin de préciser la nature du service qu'elles offrent à la société. Comment alors procéder pour opérer le changement voulu dans leur milieu ? Comment remplacer une façon d'être infirmière par une autre ? Un changement intentionnel mérite une étude sérieuse.
La présentation des théories du changement dépasse évidemment les cadres de cet article, le lecteur est donc invité à consulter les ouvrages consacrés à ce sujet. Les experts dans ce domaine y décrivent plusieurs façons de conceptualiser le changement, les stratégies à la disposition de l'agent de changement ainsi que les résistances rencontrées.
Si l'on veut que le changement soit durable, il est important de procéder lentement. Il peut être utile de distinguer cinq étapes dans l'adoption d'un modèle conceptuel, celles-ci ne sont pas entièrement indépendantes, mais elles sont suffisamment bien définies pour qu'on puisse les énumérer. Ce sont :
1. La sensibilisation,
2. Le choix du schéma conceptuel,
3. L'étude du schéma choisi,
4. L'instauration du schéma,
5. La stabilisation.