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- La
complexité du
vivant, l'humanitude
- ou
- de
la gérontologie à la gestion
d'équipe 5 pages,
- Dr
Lucien Mias - avril 1996
- À la naissance l'organisation du corps humain
est
établie, mais sa structuration reste à
construire. Au
fil des ans, l'humain va acquérir une complexité,
aussi
bien au plan immunologique, neurophysiologique, que social et
culturel par ses inter-relations avec le milieu physique et humain
qui l'entoure : il naît de l'espèce animale
humaine mais
il doit acquérir ce qui fait sa dignité,
"l'humanitude" dit A. Jacquard.
- L'humanitude va s'auto-construire jusqu'à la
mort, en
intégrant des données
hétérogènes
(aliments divers, sensations multiples, informations, perturbations)
et en les transformant en "Moi", ensemble indissociable qui regroupe
identité-autonomie-unité.
- Une personne âgée, ensemble
auto-construit, s'examine
et se saisit à partir de ses deux aspects
complémentaires : son organisation et sa structure.
- Organisation et structure
- L'organisation concerne les configurations anatomiques
immuables
(physiologiques, biochimiques, biophysiques, etc.) liées en
grande partie à des informations
génétiques.
C'est un système auto-informé.
- Si le corps est étudié, dans les
mêmes termes
qu'une mécanique qu'on peut réduire et
réassembler, on s'intéresse seulement
à son
organisation.
- Une organisation matérielle sans
inter-relations,
même compliquée (une montre, un moteur) peut
être
démontée, dissociée en ses
éléments, étudiée
élément
après élément, puis
reconstituée : elle
fonctionnera comme avant. L'humain ne peut être
réduit
à ceci, il est structuré.
- La structure se crée par les inter-relations
avec
l'environnement physique et les autres systèmes vivants
(hiver, soleil, microbes, allergies, accident, employeur, travail,
conversations, amours, haines, etc.).
- En se référant aux
modalités d'acquisitions
cérébrales, il est possible de
considérer la
structure "d'empreinte" et la structure "d'évolution".
- La structure d'empreinte, comprend un
sujet vivant, pensant
et agissant avec son corps, à travers ses sens et ses
perceptions : vue, ouïe, goût, odorat, toucher,
affectivité, pensée, parole. Elle constitue
l'identité personnelle, fortement influencée par
la
"niche environnementale ou les apprentissages ont
été
effectués depuis la naissance (et peut-être
avant)".
C'est un système auto-informé qui s'appuie sur
des
acquis : une information n'est sélectionnée,
retenue,
que si par nos acquis antérieurs nous sommes par avance
d'accord, prêts à la recevoir. Elle se
façonne
dans les vingt premières années de la vie, avec
une
prévalence de la naissance à trois ans pour
l'affect et
de douze à quinze ans pour la pensée abstraite
(aires
associatives).
- « Le cerveau de l'homme, comme
lui-même,
naît nu. Il est habillé par le langage qui lui
vient des
autres » H. Laborit.
- La structure d'évolution,
large, comprend une
quantité variable d'éléments de
même
espèce (famille, amis, médecin, soignants, etc.)
et
d'autres espèces vivantes domestiquées (chien,
chat,
chevaux, vaches, etc.), ainsi que des éléments du
milieu non vivant (maison, voiture, pollution, travail, etc.). Elle
constitue l'identité sociale.
- La personnalité, structure totale,
rend compte de la
complexité du vivant car elle englobe les sous-structures :
personnelle, sociale, immunologique, mentale, etc.Ces sous-structures
ne s'additionnent pas mais sont une
auto-référence : il
existe par exemple, des relations entre l'immunité et le
stress, variable selon chaque personne.L'humain, complexe, ne peut
pas être démonté puis
reconstitué, sans
perdre son identité, car, précisément,
ce qui le
définit comme complexe c'est la présence
d'inter-relations entre tous ses éléments, dans
le
cadre d'une hiérarchie enchevêtrée.
- Si les caractéristiques du corps se transmettent
de
génération en génération
par
mémoire génétique, la
personnalité de la
personne va disparaître avec elle. Cependant elle peut se
transmettre aussi de génération en
génération (par les langages, les us et coutumes)
si
les générations successives lui accordent une
connotation de "valeur".
- On parlera d'une attitude "gaullienne", tant que ceux qui
se
souviennent du Général De Gaulle, par exemple,
n'auront
pas disparu. L'autre génération suivra-t-elle ?
Le fils
du général s'il ressemble anatomiquement
à son
père, est l-il une personnalité "gaullienne" ?.
- Soins gériatriques et soins
gérontologiques
- Si le médecin ne se préoccupe que de
l'organisation
du corps, il procède dans le cadre gériatrique :
analyse des signes et réponse thérapeutique
à
dominante biomédicale.
- Si le médecin s'intéresse
à la
complexité du vivant - l'organisation et la structure de la
personne - il fonctionne dans une optique gérontologique.
Cette procédure analyse les signes de l'organisme, mais les
englobe dans l'appréciation du contexte, les relie au
passé et au futur, gère le "chaos" qu'est
susceptible
de créer tout système vivant :
auto-régulé, il est capable de
générer
des événements imprévibles, donnant
l'impression
d'un comportement chaotique.
- « La médecine est vieille de 50 000
ans, dont 9 000 au
moins à passer à travers les "sciences"
successives
telles que la divination dans les viscères, l'astrologie,
l'astronomie, les mathématiques, la philosophie, la
physique,
etc. Actuellement la science dominante est la biologie, qui a
édifié une pensée
spécifique du vivant
(et non plus de la matière du vivant) afin de promouvoir un
univers de pensée et d'action proprement biologique, tout en
intégrant les données accumulées
précédemment. Intégrer ces
données ne
signifie pas simplement les reprendre à son compte ; il
s'agit
d'un processus complexe consistant à leur donner un autre
sens, en leur imposant d'autres grilles de lecture. Il s'agit d'une nouvelle
donne. » J.P. Gaillard.
- Entre un jeu de belote et un jeu de poker la plupart des
cartes
sont identiques. Le poker en ajoute seulement quelques unes, mais il
change radicalement la règle du jeu. Penser poker, ce n'est
plus du tout penser belote, bien que 32 cartes y soient identiques.
Cette nouvelle donne commence à modifier la
pensée et
l'exercice médical. Elle rend le chercheur de pointe en
immunologie et le médecin gérontologue -ou le
généraliste- beaucoup plus proches l'un de
l'autre.
L'immunologiste
intègre la
logique de la
complexité telle que l'auto-organisation,
l'auto-référence, la boucle récursive,
sans
lesquelles le fonctionnement du système immunitaire
resterait
inintelligible. Il intègre les relations entre structures
dans
ses modèles de compréhension des relations :
entre
stress et immunité, par exemple.
Le
médecin en institution
gérontologique
intègre l'importance de l'environnement pour la
structuration
mentale.
- « Quand tu me laisses au lit et que tu fermes la
porte de ma
chambre, tu fermes les portes de mes sens.
Si tu fermes les portes de mes sens, tu fermes la porte de mon
contexte (l'environnement matériel et l'entourage humain qui
m'ont fait entrer et me maintiennent en humanitude.)
Si tu fermes la porte de mon contexte, tu fermes la porte de mes
savoirs (savoir-observer le contexte ; savoir-reconnaître :
savoir-percevoir les normes de fonctionnement du vivant ;
savoir-organiser : savoir-comparer, savoir-trier,
savoir-sélectionner ; savoir-interpréter : donner
un
sens à partir de ce que j'ai été, ce
que je
suis, ce que je veux être ; savoir-choisir ;
savoir-créer avant de pouvoir échanger ;
savoir-exprimer, prendre position par le verbal et le
non-verbal.).
Si tu fermes la porte de mes savoirs, tu fermes la porte de mon
autonomie (savoir-faire ; savoir-comprendre : savoir entrer en
relation, en résonance ; savoir-intégrer : savoir
globaliser le réel ; savoir-communiquer :
savoir-Être.).
Si tu fermes la porte de mon autonomie, tu fermes la porte de ma
structuration mentale.
Si tu fermes la porte de ma structuration mentale, tu fermes la porte
de mon ÊTRE, être moi parmi les humains. »
Le
médecin de famille sait,
intuitivement, que le soin efficace d'un patient devrait passer par
soigner son couple, ou sa famille, ou son employeur, ou ses voisins,
etc.
- Les logiques et les pratiques des
spécialités
médicales sont toujours dans l'univers du
mécanisme
biomédical : "compliqué" mais non "complexe".
- Étudier l'humain, dans les mêmes
termes qu'une
mécanique qu'on peut réduire et
réassembler,
permet de le décrire comme compliqué. C'est la
logique
de la matière.
- Étudier l'humain en intégrant la
présence
d'inter-relations entre tous les éléments de sa
structure, ne permet pas de le démonter puis de le
reconstituer sans qu'il y ait perte de son identité, oblige
à le reconnaître complexe. C'est la logique du
vivant.
- L'organisation reste le domaine de la chirurgie et de
certaines
spécialités médicales, qui savent
réparer
ou remplacer les organes en voie de destruction ou détruits
:
remplacer un coeur, remplacer une thyroïde par l'ingestion de
molécules de synthèse, raccourcir un intestin,
recoller
une rétine.
- Le domaine de prédilection du
gérontologue ou du
médecin de famille est celui de la structure :
détruire
une bactérie, réhydrater, réhabiliter
aux gestes
du quotidien, réorienter, relèvent de la
structure.
- Le médecin agit sur la structure de ses
patients, en
même temps qu'il est un élément dans
leur
structure.
- Une thérapeutique ayant statistiquement fait ses
preuves
voit ainsi varier ses effets bénéfiques, ses
effets
secondaires indésirables ainsi que ses divers effets
placebo,
au gré de la puissance et de la qualité de la
relation
médecin/malade.
- Un symptôme ou "souffrance" est l'expression d'un
couplage
impossible de deux systèmes à
proximité (Ex. :
entre sang et bactérie, entre un enfant et son
père,
entre une femme et son travail).
- L'art médical consiste à
réguler ce couplage
ou à le faire cesser, en combinant des actions agissant
à des niveaux différents de la structure
(antibiotiques, conversation, mise en oeuvre d'aides sociales).
- Le médecin récemment sorti de
l'université,
quand son action est autre que de technique médicale subit
une
double contrainte : contraint d'agir et
dévalorisé, "Je
ne suis pas une assistante sociale, un confesseurÉ C'est pas
mon
boulot". Or voici que la médecine combinatoire donne toute
sa
valeur à ces actions, en les incluant sans
ambiguïté dans l'univers médical de la
complexité.
- La capacité d'auto-régulation,
présente dans
tout système auto-construit (la personne
âgée au
moment du mourir en est l'achévement), d'une grande
complexité, encourage à s'appuyer sur les
capacités restantes des patients, pour faire "avec" elles.
- Chez les humains, le langage est
l'élément de
structure le plus largement partagé. Il n'est donc pas
surprenant que le langage soit l'un des véhicules les plus
puissants de la santé comme de la pathologie :
les mots
peuvent causer des maux, même -ou surtout- chez ceux qui les
ont perdus mais les entendent encore.
- L'institution gérontologique: impasse ou avenue ?
- Puisque la structure dépasse largement les
frontières d'un corps, le choix gérontologique
s'impose
: gérer médicalement les dysfonctionnements de
l'organisation corporelle ; utiliser les connaissances des sciences
humaines afin de dépasser les limites du
"médicamenteux" pour aller vers une logique structurelle de
soins de santé.
- La santé étant envisagée,
non pas comme
l'hypothétique absence de maladie ou usure de l'organisation
corporelle, mais comme la capacité de la personne de
fonctionner au mieux dans son environnement.
- Les personnes accueillies en en institution
gérontologique
présentent -notamment- des déficits de leur
structure
cognitive. Leur structuration mentale doit être
privilégiée en utilisant les connaissances
neuro-physiologiques concernant le fonctionnement
cérébral ; par une action sur l'environnement
matériel et l'entourage humain : le comportement des
soignants
est la première richesse thérapeutique en Long
séjour.
- Ce qui a des conséquences sur le type de
management
d'équipe à promouvoir : système
vivant, les
inter-relations d'équipe jouent sur sa structure, laquelle
retentit sur les personnes soignéesÉ
- L' institution gérontologique n'est pas une
impasse
thérapeutique, mais une avenue pour des
thérapeutiques
différentes, corps à corps et coeur à
coeurÉ
saupoudrées de prescriptions médicamenteuses.
La dynamique du
vivant
L'approche gérontologique ne fait plus seulement
appel
à la logique analytique consistant à
découper le
corps vivant en morceaux pour mieux le maîtriser. Elle relie
et
recombine en permanence des informations provenant de disciplines et
de secteurs différents dans le but d'en dégager
des
éléments communs, susceptibles d'enrichir une
vision
globale, à son tour renforcée par la
fertilisation et
le croisement de domaines complémentaires les uns des
autres.
- Il faut avoir de l'audace car ce n'est pas la voie de la
facilité : il n'est pas du tout aisé de lier
l'ensemble, d'assurer la permanence de soins fraternellement
attentifsÉ à « prendre soin »
de ce qui fait la
dignité de l'humain, son humanitude : Être Moi
parmi les
humains.
La
complexité du vivant et le management
Le management d'entreprise. (Manager autrement les
ressources
humaines, G. Proisy, Quadrature Annecy)
Un modèle s'inscrit dans l'espace :
celui qui
privilégie l'organisation.
« Le modèle américain est
fondé sur l'organisation, la gestion, la planification.
- Le temps y est un facteur clé et
déterminant : le court terme est
privilégié.
- Seul le résultat compte :
l'économique prime sur le reste.
- Le strategic planning est l'outil de planification, par
excellence.
- L'organisation est le moyen de faire et d'agir.
»
L'autre modèle s'inscrit dans le temps
: celui qui
privilégie la structure.
« Le modèle japonais est
fondé sur une vision globale, l'importance des
inter-relations, la recherche de l'harmonie.
- Le temps prend une autre dimension : il est capital dans
la mise en forme des stratégies.
- Le résultat, isolément n'a pas de
sens : il se conçoit comme faisant partie d'un tout.
- Les stratégies se font à moyen et
à long terme. Elles sont, par nature globales.
- La recherche du consensus est un moyen
d'établir un équilibre entre dynamisme et
harmonie. »
- L'espace est la caractéristique du
marché (je
vends-j'achète maintenant et c'est terminé) ; le
temps est le domaine du don (j'offre ; à terme on
me
rendra peut-être).
Paradoxe : le marché est dominé par les japonais
!Serait-ce parce que le marché clôt la relation
alors
que le don l'ouvre au temps ?
- Les groupes de parole, les cercles de qualité,
etc.,
agissent sur la structure et peuvent déboucher sur une
modification de l'organisation.
- Les projets d'établissement n'agissent
même pas sur
l'organisation s'ils ne sont faits qu'en collectionnant les projets
de service.
- Du management sportif d'équipe
- L'Équipe de France de rugby a gagné
un match au
finish ce jour en Coupe du Monde 95 face à
l'Écosse du
fait de son organisation certes, mais aussi et surtout du fait de sa
structure inter relationnelle.
- Dans les matches avec les Tonga et la Côte
d'Ivoire, la
structure était nettement moins
auto-régulée
pour ne pas dire inexistante, et chaque joueur (organe) fonctionnait
comme un ensemble distinct.
- L'organisation (composition de l'équipe)
dépend de
l'analyse des sélectionneurs, de l'entraineur ; la structure
appartient aux joueurs (sous-ensembles) qui auto-régulent
leurs relations.
- Selon la qualité de la structure, le
résultat du
groupe sera supérieur à l'addition des
éléments individuels de l'organisation ; ou
inférieur. C'est la qualité de la structure qui
transcende l'ensemble : il vaut mieux parfois avoir des
sous-ensembles (joueurs) moins performants, si la qualité de
l'ensemble s'en trouve augmentée.
- Après avoir emprunté au monde du
sport individuel
l'organisation (l'entraînement mécaniste du muscle
et la
technique du geste) les sports d'équipe cherchent le "plus"
qui transcende un ensemble regroupant les meilleurs de leur
génération.
- Mais définir les modalités
nécessaires pour
obtenir une structure optimale passe toujours par une alchimie non
programmable. Malgré les essais sophrologiques,
psychologiques, etc., la transformation du chaos en système
générant des événements est
imprédictible lors de la constitution d'une
équipe.
- Pour saisir la qualité de la meilleure structure
on ne peut
procéder de façon analytique ; l'analogique prime
: le
senti (du non-dit, du non verbal) rentre en jeu ; on avance
à
vue de nez, au flair du blair.
- L'Équipe de France de handball championne du
monde,
déclare qu'elle a valorisé sa propre structure en
empruntant aux rugbymen leur façon d'Être.
Nos manières, nos us et coutumes qui "vont de soi" (notre
fonctionnement limbique) ne sont perçus que par un oeil
extérieur (ethnologique) pour qui ça
ne va pas de soi
! Le handball à pratiqué la "subtilisation
créatrice".
- Bibliographie :
- - De Rosnay J., Les
rendez-vous du futur, Fayard, Paris, 1991, 531 p
- - Gaullier X., La
deuxième carrière, Seuil, 1988, 357 p.
- - Gaillard J-P. et coll.,
Place de la médecine générale dans la
théorie de la complexité, Exercer, mai-juin 1994,
n°27, p 25 à 30
- - Gotbout J.T., L'esprit du
don, éd. La découverte, Paris, 1992, 345 p.
- - Jacquat J., Comment assurer
les soins des personnes âgées au XXI°
siècle, M et M conseil, Paris, 1995
- - Laborit H., L'inhibition de
l'action, Masson, Paris, 1985, 325 p.
- - Laborit H., L'esprit du
grenier, Grasset, Paris, 1990, 295 p.
- - Lazorthes G. , L'ouvrage des
sens, Flammarion, Paris, 1986, 224 p
- - Salamagne M.H., Hirsh E.,
Jusqu'au bout de la vie, Cerf, Paris, 1993, 143 p.
- - Trocmé-Fabre H.,
J'apprends donc je suis, éd. Organisation, Paris, 1994, 272 p
-
Dr Lucien Mias
avril 1996
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