Je me sens moi
...
parce
que tu me touches 13 pages,
Notes
de lecture - Dr Lucien Mias
- Le monde des odeurs, des formes, des couleurs, des sons,
est purement subjectif ; il est de simple apparence. La main va
à la rencontre de la sensation et prend un contact direct
avec les êtres, les éléments et les
objets ; en cela, elle diffère des autres organes des sens
qui captent des courants d'ondes émis à distance
grâce aux cellules hautement
spécialisées de la muqueuse nasale, de la
rétine, de la cochlée.
- Le toucher est le sens le plus «
spécifiquement humanisé, le moins candide, le
seul réaliste comme le savait Thomas et comme l'apprend
très vite l'enfant ».
- « Le toucher voit, les regards
palpent » Octavio Paz
- Il y a 2 500 ans, Anaxagore a dit : « L'homme
est intelligent parce qu'il a des mains. »
- J. Piveteau renversa la formule : « L'homme a
des mains parce qu'il est intelligent. »
- Saint Thomas d'Aquin les met d'accord : «
L'homme possède par nature la raison et la main. Cette
raison raisonne mal si elle n'engage pas la main. Cette main travaille
en vain si la raison ne s'engage pas dans son travail. »
- Un homme peut vivre
aveugle, sourd, sans odorat ou sans goût, mais il ne saurait
survivre sans les fonctions essentielles sensorielles de la peau.
- Il existe une maladie extrêmement grave
connue sous le nom
d'algia cutanée ; il s'agit d'une
insensibilité totale à la douleur. Sans
surveillance étroite de leur entourage, les enfants atteints
de cette maladie subissent, par exemple, des brûlures
sérieuses sans en comprendre le danger. Leur vie est sans
cesse exposée, car la douleur est un système
d'alarme vital.
- Dans le cas d'Helen Keller, connue de tous, aveugle et
sourde très jeune, seules des stimulations tactiles ont
permis de pallier ces déficiences sensorielles graves, pour
lui donner accès à une communication.
- L'absence de chaleur et
de contacts tactiles dans les institutions fait naître un
profond sentiment de solitude chez les pensionnaires.
- Maggie Truhn, chef de file d'un groupe d'activistes,
les « Gray Panthers », a un jour
dénoncé cette attitude en portant un
écriteau sur lequel se lisaient : «
Touchez-moi, les rides ne sont pas contagieuses ».
- Le tact et le toucher ne sont pas synonymes.
- La sensibilité tactile s'étend
non seulement sur toute la surface de la peau mais aussi au niveau des
orifices revêtus de muqueuse.
- L'acuité tactile, qui
est la plus petite distance où deux contacts sont sentis
séparés et que l'on mesure avec les deux pointes
d'un compas, est de 1 mm à la pointe de la langue, de 3
à 8 mm à la pulpe des doigts et de 45 mm sur la
poitrine ; cette différence correspond à la
densité des points de tact.
- Le sens du toucher est concentré
dans la main ; toucher signifie en effet prendre contact
avec quelqu'un ou quelque chose par mouvement; or seule la main se
déplace (on peut aussi admettre que l'on touche aussi avec
les lèvres et le pied).
- L'information tactile donne à la
préhension sa précision et inversement la
palpation renforce la sensibilité. la main glisse,
frôle, caresse, soufflette, effleure, touche tâte,
presse, comprime, pousse, manipule, soupèse, compte...
- Par le toucher, la palpation et la manipulation,
grâce à la synthèse terminale des
sensations venues du système récepteur
superficiel et du système récepteur profond, la
main accède à la connaissance du monde
extérieur.
- Le toucher léger fournit une sensation
de contact et permet de porter un jugement sur les qualités
d'une surface, sur ses accidents de relief : lisse, rugueuse, piquante,
pointue, soyeuse, gluante, brûlante, froide...
- Le toucher appuyé, la pression,
apprécient la résistance, la consistance.
- La manipulation juge de la forme, du volume, du
poids.
- L'opposition de la pulpe du pouce à
celle des autres doigts et en particulier de l'index assure une
préhension fine. Là est l'origine de l'expression
« connaître sur le bout des doigts
».
- La main offre la singularité par rapport
aux autres organes des sens de réunir dans un même
organe les pouvoirs d'information et d'exécution : elle est
un merveilleux appareil de perception sensorielle fine et de
préhension solide et délicate
- « Il y a trente muscles dans la main et
elle est capable de faire mille actes » Hughlins
Jackson.
- L'Homme est pourvu de mains libres, habiles et
intelligentes parce qu'il est debout sur ses pieds, socle permanent qui
les libère.
- Il faut nous résigner
à avoir commencé par les pieds. La station debout
et le pied ont été le premier
caractère à différencier
l'ancêtre de l'homme du "cousin" resté dans la
lignée simiesque
- La relative stabilité sans transformation
majeure de la main au cours de l'Évolution des Primates est
à opposer au bouleversement morphologique du pied.
- La bipédie et la station verticale seraient
à l'origine de la prématurité
constitutionnelle du nouveau-né humain. Selon
Stephen Jay
Gould, si l'on tient compte des critères de maturation, le
petit de l'homme devrait naître au bout de 21 mois de vie
intra-utérine pour être égal aux autres
primates. En raison de la position verticale, la pression plus forte de
la tête engagée dans le bassin
détermine l'expulsion du foetus avant sa maturité
et permet l'augmentation du volume du cerveau hors de
l'utérus maternel ; elle est en effet
considérable pendant la première année
puisqu'il triple en passant de 350 g à 1000 g.
- Les nageoires, les ailes, les pattes et nos membres
ont la même composition squelettique : humérus,
radius, cubitus, fémur. tibia,
péroné... et sont pentadactyles,
c'est-à-dire terminés par cinq rayons qui se
transformèrent un jour en cinq doigts.
Rappel physiologique
- La peau provient du même tissu embryonnaire que
le système nerveux, tous les autres organes des sens ainsi
que les cheveux et les dents. La peau est l'organe le plus
étendu de notre corps : 18 000 cm2
chez l'adulte. Mais la
peau contient des récepteurs sensoriels qui
représentent véritablement l'organe des sens du
tact.
- Selon la sensation : douleur, chaleur, froid, contact,
pression,
des terminaisons différentes entreront en jeu ; certaines
sont intradermiques d'autres intra-épithéliales.
La plupart de ces récepteurs sensitifs sont
constitués d'une terminaison nerveuse entourée
d'une capsule et sont appelés des corpuscules.
- Ces fonctions principales sont :
- une protection contre les radiations, les
différents corps étrangers et substances diverses
en suspension dans l'air, et un organe sensoriel.
- un rôle de régulateur thermique
- un rôle métabolique,
c'est-à-dire que des transformations chimiques
nécessaires aux dépenses d'énergie et
à la nutrition ont lieu.
- L'étendue de la représentation de la
sensibilité cutanée sur l'écorce
cérébrale correspond à l'importance
fonctionnelle et non pas anatomique des territoires: la main, et
surtout le pouce et l'index, a une surface corticale
supérieure à celle du tronc et des membres
inférieurs.
- Certaines zones sont extrêmement
privilégiées, comme les lèvres.
- Il existe un potentiel électrique de
base caractéristique de la surface du corps, mais Reich
à montré que certaines zones avaient un potentiel
différent, soit plus haut, soit plus bas. Ces surfaces de
peau correspondent aux zones érogènes : paume des
mains, front, lobe de l'oreille, langue, pénis, mamelon,
anus, muqueuse vaginale. Dans ces zones, les sensations sont beaucoup
plus intenses, ce que chacun sait ou à
expérimenté.
- L'enregistrement de la charge
électrique de la peau est horizontale, sauf au niveau de ces
zones où la courbe est faite de pics, et c'est
l'accroissement du potentiel qui donne la sensation de plaisir. Il est
remarquable de noter que cette augmentation du potentiel varie avec.la
douceur du stimulus. Plus il est doux, plus le potentiel augmente. Plus
il est fort, plus le potentiel diminue et le plaisir
disparaît.
- Les moments les plus intimes de la vie et souvent les plus
forts sont lies aux changement d'aspect ou de texture de la peau. La
peau est le témoin et le dépositaire de nos
expériences affectives.Elle change avec l'âge, se
ride, se plisse, se fripe au fil de nos joies et de nos chagrins. Elle
durcit quand elle refuse le toucher, s'anime pendant l'amour et prend
une qualité de velours quand elle est satisfaite. Ce sont
autant de messages d'un corps à l'autre qui ont une valeur
universelle : la peau est sans doute un univers dont.nous ignorons
souvent ce que nous lui devons.
- La sensibilité du nouveau-né
est concentrée sur les stimulations cutanées.
- C'est par la peau et surtout par la bouche que
s'établit son premier contact avec le monde
extérieur et particulièrement avec sa
mère. C'est par le toucher que se fait son apprentissage de
ce qui est accessible et de ce qui ne l'est pas.
- Le nouveau-né dort 16 à 17 heures
par jour à poings fermés, c'est-à-dire
les doigts repliés sur le pouce ; la main ne reste ouverte
qu'après le 2° mois.
- Dès la naissance, le nourrisson apprend
à identifier les objets et les personnes animés
ou non. Vers l'âge de 3 mois, il est capable de fixer et de
suivre le mouvement de ses mains. La pince pouce-index ne devient
efficace que vers le 7° mois.
- L'activité de préhension de
l'enfant contribue non seulement à la reconnaissance des
objets mais aussi à l'exercice et au
développement de l'intelligence ; elle doit être
stimulée.
- Favoriser la maîtrise du geste et aider
les enfants à connaître le pouvoir de leur main
est une étape essentielle de leur éducation.
L'ontogenèse récapitule une fois encore la
phylogenèse (loi de Haeckel)
- Le bébé quadrupède
connaît le monde d'abord par sa bouche ; dès qu'il
marche, et qu'il devient bipède, c'est par ses mains qu'il
prend contact avec les choses et les personnes. Le toucher a une
importance capitale dans le développement psychologique de
l'enfant ; avant la parole, il n'a pour se faire comprendre que des
gestes, c'est-à-dire des mouvements en rapport avec ses
besoins. Le mouvement est d'abord l'unique expression et le premier
instrument du psychisme.
- Seules commencent par retenir l'attention de l'enfant
les impressions dont il se trouve être l'auteur et que son
action prolonge, reproduit, modifie.
- « Les objets qu'il
identifie sont uniquement ceux qu'il manie. » Henri
Wallon
La main
- La main n'est pas seulement un merveilleux instrument
d'action sur le monde extérieur, elle est aussi un artisan
de la connaissance de soi. L'enfant découvre ses mains dans
son champ visuel ; c'est la première image du corps : elles
jouent de plus un rôle important dans la somatognosie,
c'est-à-dire dans la connaissance des autres parties de son
corps : visage, pieds, organes génitaux, car elles les
saisissent et l'amènent à les faire siennes.
- La peau est avec le coeur le seul le nos organes vitaux
auquel le langage donne une telle importance : il foisonne
d'expressions la mentionnant dont le pouvoir d'évocation est
souvent précieux.
- Tel homme ou telle femme nous attire sans qu'on puisse
bien dire pourquoi, « c'est
une question de peau », lorsque l'attachement
perdure malgré les avatars de la relation, « c'est qu'on l'a dans la peau
».
- Défendre
sa peau, la sauver, avoir celle de l'autre, sont autant
d'images dont l'usage est courant. Et lorsque les mots deviennent
vains, c'est encore notre peau qui nous renseigne sur
l'intensité des émotions que nous ressentons.
- Pour l'animal comme pour le petit d'homme la vie s'inaugure
par un contact physique : celui avec la mère. C'est par ce
biais que l'enfant établit son premier contact avec le monde
et qu'il en embrasse une autre dimension : le monde de l'autre.
- Cette perception du corps de l'autre est
d'abord une source essentielle de confort.
- Le contact physique agréable est une des
données de base de l'affectivité et de l'amour;
la tétée qui assure une intimité
fréquente entre les corps de la mère et de
l'enfant prend donc une fonction affective. Au cours de ces
échanges, chaque fois, que l'enfant touche sa
mère il y a réaffirmation de son existence en
tant que source de plaisir.
- Comme pour tous ceux qui croient à
la réalité d'une chose s'ils
la touchent du doigt, l'enfant quand il touche sa
mère met le monde à la portée de sa
main. La mère fournit à son enfant des
stimulations sensorielles tactiles, visuelles et auditives à
tout instant, quand elle le porte, le serre dans ses bras, joue avec
lui ou tout simplement lorsqu'elle est présente. Le
bébé coordonne peu à peu cet
échange à ses autres sens. Il apprend
à connaître son corps à l'aide d'un
code élaboré avec ce que lui ont appris sa peau,
ses lèvres et se mains.
- Les premiers efforts pour se concevoir comme un tout
commencent donc dés les sensations orales au sein de la
mère, et ceci à tâtons. Par ce mode de
communication initiale l'enfant apprend ce à quoi sert le
langage : être en contact avec son prochain.
- C'est A. Montagu, dans son passionnant
ouvrage La peau
et toucher, qui le premier a mis en
évidence, en se fondant sur des données de la
psychologie animale, de l'ethnologie et de la sociologie, l'importance
de l'expérience tactile de l'être humain et ses
conséquences sur son développement
ultérieur.
- Pour Montagu, c'est « ma peau qui me fait un et me fait rencontrer
l'autre » ; cette assertion trouve son
écho chez divers théoriciens de la psychanalyse.
En effet, ce corps, dimension vitale de la
réalité humaine, est ce sur quoi
s'étaient toutes les fonctions psychiques.
- Montagu partage avec Freud la
constatation de l'immaturité de l'enfant à la
naissance qui le rend totalement dépendant de son entourage
pour sa survie et est un des moments essentiels du lien
privilégié avec la mère, partant du
développement de la communication interpersonnelle.
- Pour Lacan, c'est cet
état d'impuissance et d'incoordination motrice qui pousse
l'enfant à anticiper imaginairement
l'appréhension et la maîtrise de son
unité corporelle par identification à l'image du
semblable. C'est l'image de
lui-même dans le miroir qui aiderait à la
constitution de la première ébauche du Moi.
- La peau nous est une
frontière réelle. Elle est aussi une
frontière symbolique en rapport avec l'image du corps.
- L'image des limites du corps est acquise au cours du
processus qui met fin à la relation fusionnelle
qu'entretiennent l'enfant et sa mère pendant les premiers
temps. Le
Moi-peau (D. Anzieu),
serait une
figuration dont l'enfant se sert pour se représenter
lui-même à partir de l'expérience de la
surface de son corps.
- Toute activité psychique s'appuyant sur une
fonction biologique, le Moi-peau
s'étaie donc sur les trois fonctions de la peau :
« La première fonction, c'est le sac qui retient
à l'intérieur le bon et le plein de
l'allaitement, les sons et le bain de paroles qui y ont
été accumulés. La seconde
fonction, c'est la surface qui marque la limite avec le dehors et
contient celle-ci à l'extérieur. La
troisième fonction de la peau, avec la bouche, et au moins
autant qu'elle, c'est un lieu et un moyen primaire d'échange
avec autrui. »
- De cette origine épidermique, le Moi
tirerait son pouvoir de médiateur qui tient compte
à la fois les dangers venus de l'extérieur et des
tensions internes nées des exigences pulsionnelles.
- Les messages reçus par la peau sont d'une
grande importance et lorsqu'ils sont, comme dans la plupart des cas,
porteurs d'un contenu sécurisant et agréable, ils
aident l'enfant à se structurer harmonieusement en tant que
sujet, et rechercher le contact avec l'autre.
- Si la manière dont un enfant se
développe dépend de l'ensemble des soins qu'il
reçoit pendant sa petite enfance, on appréhende
aisément les
conséquences néfastes que peuvent avoir les
perturbations de la relation mère-enfant.
- Lors d'hospitalisations prolongées,
la privation du contact physique avec la mère et le manque
de stimuli peuvent plonger l'enfant dans un véritable
état dépressif allant parfois jusqu'au marasme.
La prise en compte des travaux de Spitz à ce sujet a abouti
à la présence dans certains hôpitaux
américains de femmes
rémunérées pour cajoler, bercer,
étreindre les enfants. Les résultats de telles
pratiques sont fascinants.
- Dans La
trahison du corps,
Lowen met en rapport l'échec de l'expérience
tactile précoce et les troubles mentaux de type
schizophrénique. Partant de l'étude de nombreux
cas, Lowen montre que la sensation d'identité
procède de la sensation de contact avec le corps : pour
savoir ce qu'il est, l'individu doit savoir ce qu'il sent.
- Et c'est précisément ce qui
manque au schizophrène qui a une perte
complète du contact avec son corps, au point qu'il ne sait
plus qui il est : il n'est plus en contact avec la
réalité qui se structure à partir des
sensations du corps.
- La clinique de l'allergie donne un
grand nombre l'observations qui mettent la peau sur le devant de la
scène. Depuis le contact avec les mains de la personne qui
le fait naître, jusqu'au contact avec le corps de sa
mère, le bébé vit la communication
tactile sur le mode de la réciprocité. Un
échec suffisamment grave de ce contact peut se traduire
ultérieurement sous la forme de maladies dermatologiques.
- L'observation par le docteur Rosenthal de
vingt-cinq bébés de moins de deux ans
présentant de l'eczéma a
montré que dans la plupart des cas ces enfants n'avaient pas
reçu suffisamment de stimulations cutanées.
L'eczéma, par sa forme et les soins qu'il
entraîne, peut se lire comme une demande adressée
à la mère pour l'inciter à plus de
contact tactile. Par le grattage des lésions l'enfant se
procure alors le plaisir dont il est privé.
- Il est intéressant de constater que l'eczéma
infantile, s'il peut apparaître des les
premières semaines de vie, disparaît
spontanément vers la fin le la première
année, au moment où l'enfant apprend à
marcher et est, de ce fait, plus indépendant des signaux
émanant de sa mère, donc plus apte à
trouver par lui-même des sources de satisfaction tactile.
- « L'enfant
eczémateux est le plus souvent
privé de ces actes quotidiens d'amour qui consistent
à le tenir dans les bras, à le caresser en lui
disant des mots tendres par une mère inconsciemment hostile.
»
- Cette attitude de rejet inconsciente est aussi
à l'origine d'une affection oui prend souvent le relais de
l'eczéma : l'asthme infantile. On retrouve dans l'histoire
des petits patients les mêmes manques au niveau du besoin
d'être touché.
- L'attitude inverse de sollicitude extrême de la
part de la mère provoque aussi des troubles dans cette
étape décisive qu'est la constitution du Moi. Par
une présence maternelle trop lourde, l'enfant
n'expérimente pas le « sentiment d'absence
» qui est aussi nécessaire à
l'individuation et à l'accès de l'autonomie. Sur
la base solide du toucher, le bébé apprend donc
ce que signifie l'intimité, la proximité, la
distance et l'éloignement. Et le toucher, c'est la sensation
personnelle par excellence.
Le contact mère-enfant
- Ashley Montagu dans "La
Peau et le toucher"
considère que .. la naissance n'inaugure pas plus la vie
d'un individu qu'elle ne marque la fin de la gestation. Le
bébé naît inachevé, en
comparaison avec les autres mammifères. La gestation
humaine, bien que faisant partie des gestations longues, n'est pas
terminée à la naissance et A. Montagu parle d'utéro-gestation et
d'extéro-gestation dont la fin serait
fixée au stade ou l'enfant commence à courir
à quatre pattes
- Il émet l'hypothèse
étayée par de nombreux exemples que «
la longue phase de travail de la femme et surtout les contractions de
l'utérus ont une fonction importante ; la même que
le léchage et la toilette du nouveau-né chez les
animaux.»
- Les contractions joueraient le rôle de
stimulation physiologique de la peau par les nerfs sensoriels
périphériques. Les impulsions transmises au
système nerveux sont dirigées vers les
différents organes par le système
neurovégétatif.
- Treize petits macaques nés par
césarienne et treize autres nés normalement ont
été observés pendant leurs cinq
premiers jours.
- Les animaux dont la naissance avait
été vaginale étaient plus actifs, plus
vifs à s'adapter à la situation, plus prompts
à répondre à des stimuli
supplémentaires. Toutes les manifestations
d'activité étaient trois fois plus
fréquentes chez les petits singes nés
naturellement.
- De très nombreuses études
comparatives sur des enfants prématurés ou
nés par césarienne et des enfants nés
normalement montrent que les problèmes d'alimentation, les
troubles d'élocution, les troubles émotionnels
caractérisés, l'anxiété
sont bien plus fréquents chez les premiers que chez les
seconds, comme si le manque de stimulation cutanée avait
ralenti l a mise en route des centres vitaux.
- La stimulation cutanée par le toucher, la
pression montrent bien l'importance
des caresses pour le développement de l'enfant.
Le nouveau-né doit à sa peau la mesure de cette
inimaginable traversée, au contact de son propre corps avec
celui de sa mère. Dans de nombreuses maternités
depuis la « naissance sans violence », l'enfant est
posé sur le ventre de sa mère avant que la
coupure du cordon ombilical ne les sépare tout à
fait. Sorti de son enveloppe liquide, le nouveau-né attend
l'enveloppe protectrice et apaisante de la chair maternelle. C'est par
elle, par ce toucher fusionnel que se développeront toutes
les facultés sensitives et cognitives de l'enfant. Le
toucher, par la chaleur et le contact que le nourrisson
éprouve devient espace de vie, espace de transmission entre
sa mère et lui, entre l'extérieur et
l'intérieur, tout indifférencié qu'il
est aux premiers mois de sa vie.La sensibilité du
bébé est concentrée sur ce vaste champ
de besoins et de sensations, agréables ou non, satisfaits ou
non à travers le contact.
Le moi-peau organe de
l'attachement
- C'est par la peau - un des premiers de nos organes
sensitifs à fonctionner et le plus étendu du
corps humain - que prend toute la valeur du contact vital instinctif
soudant l'enfant à sa mère.
- Le nouveau-né connait son allié, sa
« plage » d'amour et de repos. Il sait mieux que la
mère la texture de sa chair ; les lieux de
réconfort et de douceur que cette peau lui offre.
détendue et souple, ou lui refuse, raide et dure. Il
s'accroche à cette peau, s'agrippe avec force ou
désespoir, car il sait la « nature » de
ce contact (Une mère ne peut tromper l'enfant sur ses
intentions si malgré des gestes apparemment accueillants
elle n'a pas envie de donner, l'enfant aura compris)
- Des enregistrements magnétoscopiques
réalisés par Bob Wilson de mères
s'occupant de leurs enfants mettent en évidence que de
nombreux gestes de la mère pendant les soins sont,
à la limite, des gestes très agressifs
d'étouffement, d'étranglement, ou de rattraper le
bébé au bord de la table au dernier moment.
- Plus simplement, James L. Holliday montre que
« les femmes anxieuses ont tendance lorsqu'elles tiennent
leur bébé à le tenir mollement d'une
façon mal assurée et
insécurité de la mère sera ressentie
par le bébé »
- Cette présence/absence de contact, sa
richesse/pauvreté, créera chez le nourrisson la
sensation profonde de plein/vide, de chaud/froid.
- L'enfant,
l'adolescent, l'adulte pourra communiquer cette plénitude
par sa propre chaleur ou cherchera toujours et toujours à
combler ce manque qui « ne remplit pas son ventre »
- Lowen à publié des cas de
femmes qui, ayant souffert d'un manque de stimulations tactiles dans la
petite enfance, s'étaient plus tard jetées dans
la multiplicité de rapports sexuels, en fait quête
désespérée de contact entre les corps,
toujours déçue, jamais satisfaite.
- Le moi-peau, comme
le définit Didier Anzieu, est la première
étape à expérimenter et à
réussir.
- Il est cette totalité des sensations
plaisir-déplaisir emmagasinées par le
nouveau-né.
- Le moi-peau est la base et l'édifice
futur qui le feront adulte solide et vivant ou extrêmement
fragile sous une apparence assurée.
- Organe de l'attachement, le moi-peau lie et
sépare le nouveau-né de sa mère. Les
temps de lien et de séparation doivent être
consommés par le nouveau-né à
satiété pour que le plein/ vide ne soit pas
associé à vie/mort, mais bonheur, douceur,
sécurité dans des temps différents,
des contacts différents
- La voix de la mère peut suffire
à bercer et apaiser l'enfant si le plein de contacts, de
caresses à été vécu
à d'autres moments.
- Les expériences de Harlow
démontrent l'importance du contact physique entre la
mère et l'enfant chez les singes : des
bébés singes en cage sont mis en
présence de deux substituts maternels, l'un en tissu laineux
dégageant de la chaleur, l'autre en grillage nu. Dans la
première expérience, le substitut en tissu
assurait l'allaitement, dans une autre expérimentation le
substitut métallique possédait une
tétine et dispensait le lait. Dans les deux groupes, le
temps passé auprès de la «
mère-tissu » est le même, les animaux de
la deuxième expérience se tournant aussi vers le
substitut doux et chaud, occultant même la fonction de
téter.
Les gestes comme
intégration du
moi
- Aimants ou distants, ouverts ou
fermés,
agréables ou pénibles à faire, les
gestes quotidiens de la mère envers son enfant constellent
le monde des sensations du nouveau-né de brillance ou
d'obscurité. L'intégration
du moi chez l'enfant dépend « essentiellement de
la manière, dans le temps et l'espace, dont sa
mère le porte » Winnicott.
- Porter l'enfant comme un paquet dont la mère
voudrait se débarrasser au plus vite, c'est
précipiter le nouveau-né dans le non-sens, le
désintégrer de son moi-peau.
- Depuis quelque temps et à l'imitation des
femmes d'Asie ou d'Afrique, les femmes occidentales ont
rapproché leur enfant de leur corps en le portant sur leur
dos ou contre leur poitrine. En renouant avec ce geste naturel, les
mères abolissent peu à peu cette
frontière entre les moments réservés
au contact (tétée, bains, habillage, jeux) et les
moments privés de ce contact pour les activités
« hors enfant » de la mère
- Des études faites chez les Esquimaux
montrent que les attitudes spatiales (repérage, circulation
dans l'espace) de l'enfant sont étroitement liées
aux premières perceptions sur le dos de la mère.
- Dans une autre étude chez les peuples
netailic de l'Arctique canadien, Boer relate ainsi la relation
mère-enfant : « Après l'accouchement,
le bébé est placé sur le dos de la
mère dans l'attigi (parka en fourrure), la mère
et son enfant "se parlent "par la peau : lorsqu'il a faim, le
bébé gratte le dos de sa mère. Alors
elle le passe par-devant et lui donne le sein. Si la mère
l'enlève de son dos, c'est pour nettoyer ses
excréments et lui éviter tout inconfort
prolongé. La mère va au-devant des besoins de son
enfant. De ce fait, le bébé pleure rarement. Et
ce jusqu'à trois ans. »
- Geste-caresse, geste-tendresse tisse la trame du
dialogue amoureux mère/enfant.
Les soins corporels :
personnalisation du
moi et découverte mutuelle
- Le bain est un des moments importants de la
découverte du plaisir : que de jeux,
d'éclaboussures, de refus de sortir. Mais par la
présence de l'adulte ou d'un autre enfant, il joue aussi
l'expérience de deux corps qui se touchent, se sollicitent,
s'aiment dans un moment privilégié.
- Et s'il paraît évident que le
nouveau-né retrouve la température et l'ambiance
idyllique qu'il connaît bien, ne peut-on dire que les
stimulations sensitives du bain ressuscitent pour chacun de nous les
plaisirs enfouis du ventre maternel et des bains de la petite enfance ?
- Changer l'enfant est un contact de plus, entre son
intérieur et son extérieur. Ce que l'enfant
produit, son caca, c'est "sa part" qu'il rend
à sa mère.
- S'il n'a pas conscience de l'odeur des
excréments, il n'en est pas
dégoûté.
- Sa mère, par l'acceptation ou la
gêne/dégoût qu'elle peut manifester,
renvoie le nouveau-né au plaisir ou déplaisir de
son corps.
- Le bébé est
dérouté si son besoin tactile n'est pas satisfait
et il pleure.
- Addrich a démontré l'existence
d'une relation constante entre l'intensité et la
fréquence des pleurs et le nombre et la fréquence
des soins maternels.
- Certains bébés continuent
à pleurer, comme l'expérience nous le
démontre quotidiennement si on leur parle et cessent quand
on les prend dans les bras.
- « On cite le cas d'un enfant
réputé sourd, tournant la tête au son
d'une clochette agitée par le pédiatre qui
l'examinait . La preuve était faite qu'il entendait. Mais il
semblait coupé de l'humain et ne prêtait aucune
attention aux bruits qu'ils pouvaient émettre devant lui,
non plus d'ailleurs qu'à leurs gestes. On
découvrit que ses contacta avec sa mère
étaient réduits au minimum puisqu'elle ne le
changeait que que deux fois par jour et qu'il pouvait téter
on biberon suspendu à son landau par des
élastiques.Le pédiatre le confia à une
infirmière qui lui prodigua des soins maternels, le nourrit
et lui parla. Le bébé commença alors
à sourire à l'approche de la jeune femme mais
elle demeura la seule personne susceptible par ses mouvements, sa voix
, son sourire de retenir son attention.Un jour, le pédiatre
profita d'un moment où le bébé
était tranquillement installé dans les bras de
l'infirmière pour approcher son visage et embrasser l'enfant
et la jeune femme en accompagnant ces baisers de paroles
câlines. À partir de ce jour, l'enfant reconnut le
médecin et sourit à son approche. Il semble que c
soit le contact corporel qui ait amené l'enfant à
percevoir le son de sa voix. Le jour où l'enfant s'est senti
entouré de soins attentifs et d'amour, son
intérêt pour le monde extérieur s'est
éveillé. Dés lors il a
été en mesure d'identifier des signaux sensoriel
sécurisants »
- Encyclopédie
de la sexualité,
tome II
- « Masser l'enfant, c'est réveiller
dans son corps le bien-être qu'il vivait dans le ventre
maternel, épancher la soif de sa peau, de son ventre. Les
caresses par la pression des mains sur toutes les parties de son corps
infusent la vie, diffusent l'amour, distillent les tensions
accumulées par les pleurs, les cris, la faim, tuent la peur
de cet inconnu qu'est sa nouvelle
réalité. » Frédéric
Leboyer, Shantala,
Paris, 1970, Seuil
La peau : véhicule de
la
sensualité
- Le nourrisson n'est pas qu'un ventre à remplir,
ni une somme d'émotions et de sensations. Il est
sensualité avant tout : il sent le chaud, la douceur des
caresses, leur rythme. Il vibre sous la pression des mains de sa
mère sur son corps et jouit de ce contact qui le fortifie.
Mais si sa mère n'a pas acquis un comportement maternel soit
par son vécu de bébé, soit par
apprentissage, elle se révélera maladroite et
pourra mettre en danger la survie de son enfant.
- C'est parce qu'il est plaisir à
l'état pur que le nourrisson vit tout acte d'amour comme
bien-être suprême et le rend en retour. Par sa peau
et le corps à corps, il "fait l'amour"
et la mère n'est pas insensible à ses caresses.
- Mère et femme, elle répond elle
aussi à ces stimuli sensuels et les goûte. La
reconnaissance du plaisir qu'elle donne à son enfant et du
propre plaisir qu'elle en retire ouvre toutes les
possibilités. Quelle se réduise et qu'elle soit
limitée à un rôle exclusivement
nourricier équivaut à vivre l'enfant comme une
simple "chose" vivante qu'un peu d'eau
journalière suffirait à faire croître.
- Les premiers contacts du nouveau-né sont
extrêmement favorables à la mère :
montée du lait, contractions de l'utérus pendant
la tétée, et même
rééquilibration de sa sexualité
grâce à l'allaitement.
La bouche : l'érotisme
du
nouveau-né : le nourrisson fait corps
avec sa
bouche
- Le lait sera pour le nouveau-né sa
première nourriture terrestre, et sa bouche le premier
prolongement de son être (quand l'enfant est posé
sur le ventre de sa mère, il lui faut cinq minutes seulement
pour trouver le sein).
- Le réflexe de succion qui existait
déjà dans l'utérus, par la bouche,
second organe raffiné (perceptif et actif), satisfait
simultanément le besoin de remplir son ventre
affamé et de poursuivre sa quête
érotique avec sa mère.
- L'allaitement par le sein envahit le
nouveau-né de sensations extraordinairement douces qui
resteront gravées dans sa mémoire affective, et
conditionneront la qualité de ses échanges
sensuels et sexuels futurs.
- Zone érogène par excellence,
la bouche du nourrisson explore, respire, discrimine. C'est par ses
lèvres et ses muqueuses, qu'il communique, prend et donne,
et par ce jeu de va-et-vient il expérimente toute une gamme
de sensations. Cette relation d'objet au sein puis au biberon dans un
contact d'amour rattache le nouveau-né à son
corps et à ses fonctions corporelles.Lorsque ces conditions
sont remplies la tétée constitue une
expérience de satisfaction narcissisme primaire : ventre
plein au dedans, chaleur au dehors.
- Au stade premier de cette découverte du sein et
du plaisir de la succion (de 0 à 6 mois) la bouche du
nouveau-né « digère » ce
qu'il aime.
- Si le sein est bon à boire, à
sucer, à jouer avec, il confondra son plaisir d'avoir avec
son plaisir d'être.
- Dans le cas contraire, son manque à aimer et
à être aimé lui causera des troubles
vitaux que l'on appelle "hospitalisme". Ces
enfants sont indifférents à tout et peuvent en
mourir.
- De la même façon qu'il suce le
sein avec délectation, le nouveau-né suce ses
poings, ses mains, ses doigts.
- L'interdit par la mère de ces contacts
familiers avec lui-même porte atteinte à son
individualité. Ces frustrations peuvent entraîner
une fixation orale : grands fumeurs, buveurs et suceurs de pouce
adultes.
- Au second stade (de 3 à 6 mois) de cette
activité orale du nourrisson, ce dernier, en plus du sein
maternel, s'octroie un substitut : ours en peluche (le choix de la
fourrure montre bien son besoin de « doux »), tissu
(en général souple et mou) ou poupée,
qu'il charge par l'odeur et le maniement de toute une symbolique
affective.
- Cet objet transitionnel reçoit de la
part de l'enfant tous les égards (baisers, caresses,
chatouilles et même torture) et est inséparable de
lui-même. Il perpétue le lien entre sa
mère et lui tout en lui apprenant à se
séparer d'elle, et forge son individualité. Il ne
l'abandonnera que progressivement au fur et à mesure de son
éveil extérieur.
- Au troisième stade (de 6 à 12
mois), avec l'apparition des dents, le nourrisson complète
sa recherche de jouissance en mordillant le sein maternel, puis les
objets qui l'entourent. Il commence à se
différencier des autres et ne confond plus l'objet de ses
besoins : se nourrir, avec l'objet de ses plaisirs : celui de nourrir
son auto-érotisme. Le nourrisson sait parfaitement ce qui
lui fait du bien, et tous les prétextes lui sont bons et
nécessaires pour entrer en contact avec les autres, se faire
toucher, dorloter, et en définitive, comme nous l'avons vu
lorsqu'il suce ses doigts ou sa main, entrer en contact sensuel avec
lui-même afin de vivre ses pulsions. Car l'enfant a des
pulsions dont le centre principal à cette époque
de sa vie est sa bouche. Sa bouche s'affirme comme le foyer de sa
sexualité infantile, lieu
préféré pour lui
d'expériences érotiques qu'il n'a
cessé de renouveler. Qu'il s'agisse du sein maternel qu'il
dévore, de l'objet qu'il malmène, son
érotisme buccal se dévoile aux
premières heures de la naissance. L'extase qu'il ressent au
contact de sa bouche avec le sein maternel localise son premier
vécu "d'être sexuel".
- À cet érotisme buccal de la
tétée s'ajoute le besoin de possession
(possession par et avec la bouche que les jeux amoureux reproduisent
sans fin). Le nouveau-né voudrait engloutir le sein de sa
mère, et pour ce faire il produit une énergie
considérable pour parvenir à cette satisfaction.
Si la bouche du nourrisson se porte instinctivement vers ce qui lui
procure le plus de plaisir, la bouche de sa mère, par les
baisers qu'elle lui prodigue, le renvoie à sa jouissance.
Caresser du bout des doigts la bouche du
bébé, l'embrasser sur la bouche, c'est le
conforter dans son "bon droit" de "jouir avec".
- Lorsque la séparation avec la
mère est achevée, l'enfant poursuit sa vie
sexuelle par la bouche avec l'absorption de la nourriture, et tous les
attouchements qu'il se permet. Sa bouche ne sera plus l'unique lieu de
son plaisir, il investira on corps et ses parties génitales.
- C'est parce qu'il fait corps avec sa bouche dans les
premiers mois de sa vie que le nourrisson libre et encouragé
à vivre son corps par sa bouche peut passer sans encombre de
cette partie primordiale de sa personne à celle tout aussi
importante de son sexe. Le stade oral est le premier stade de
développement libidinal de l'enfant.
Du contact fusionnel à
l'apprentissage de la séparation
- Après les premiers mois fusionnels avec la
mère, le nourrisson se détache progressivement de
celle-ci. L'objet « fétiche » qu'il
s'est approprié marque ce premier passage de sa
totalité indifférenciée à
plus d'individualité. Il poursuivra cette
séparation au cours des étapes de son
évolution (enfance, adolescence, âge adulte) en
affirmant sa personnalité ; ce jusqu'à ce qu'il
involue cette marche à l'approche de la mort.
- La vieillesse est le point optimal du
cycle de la vie où l'individu se fond à nouveau
dans le tout et l'invisible. Cette séparation d'avec le tout
maternel, mesurable par ses capacités à
s'éveiller au monde extérieur et à
jouir de ses attraits, est pour le nouveau-né la condition
nécessaire de sa croissance.
- Le nouveau-né fait chaque jour
l'expérience de cette redoutable fatalité par la
discontinuité de ces temps de vie (temps du biberon, temps
du sommeil, du bain, des jeux, des promenades, etc.). Dès
qu'il est en mesure de s'intéresser aux objets, il
apprivoise cette alternance (le bébé jette son
jouet, sa mère le ramasse, il le jette à nouveau,
et cette opération se répète
à l'infini). Le nouveau-né éprouve du
plaisir ou de la colère à «
lâcher prise », car c'est en fait sa
mère qu'il lache et reprend.
- Chaque manipulation et abandon de l'objet est une
tentative de plus de se démontrer à
lui-même qu'il peut le faire sans danger. Peut-il jouer avec
toutes ces variation sans se perdre, sans jamais "finir". Si cela est
possible, alors le nouveau-né sera
prêt à grandir.
- La psychologie infantile parle de l'avoir/non-avoir,
contact/ non-contact comme un ensemble indissociable de plaisir et de
frustration qui maintient l'équilibre de l'être
humain.
- L'alternance et ses variations dynamisent l'individu
parce qu'elles lui permettent de faire l'expérience de la
permanence et de l'intermittence de la vie, d'accepter le plein/vide
comme réalité à deux faces,
opposées et complémentaires. (Le plein de chaleur
exige le vide de chaleur pour qu'il n y ait pas saturation et asphyxie,
de même que l'être humain a besoin du jour et de la
nuit pour vivre...) Si l'adulte n'a pas acquis cette
expérience, il apparaît que sa vie est une
succession d'arrivées et de départs mal
digérés, de débuts et de fins mal
perçus, de demandes et de refus mal vécus.
L'expression courante « se lancer dans le monde ».
symbolise cet apprentissage de la séparation, tremplin de la
vie.
Du coté des
petites
filles
- Le nouveau-né n'est pas cet être
angélique, asexué, que toutes les imageries se
plaisent à façonner. S'il en était
ainsi, la mère ne saurait faire la différence
entre son garçon et sa fille, elle ne saurait lui
témoigner plus ou moins d'intérêt, elle
le reconnaîtrait plus ou moins. La
réalité est tout autre, et le
nouveau-né par son sexe est voué à
l'admiration ou à l'indifférence.
- Des études se rapportant à
l'allaitement ont montré que 34 % des mères
« se refusaient de nourrir au sein les filles parce qu'elles
considéraient cette pratique comme un travail
forcé ou que des raisons de travail les en
empêchaient ». Sans doute la mère
juge-t-elle que la petite fille miroir d'elle-même, future
mère, est assez grande pour être sevrée
plus tôt ?
- Brunet et Lezine ont observé que «
toutes les petites filles ont été
définitivement sevrées à trois mois et
et que l'alimentation mixte a commencé à un mois
et demi, alors que 30 % des garçons ont
été au contraire allaités
au-delà du troisième mois, et pour 20 % d'entre
eux l'alimentation mixte a duré jusqu'au huitième
mois. On supprime le biberon aux petites filles le douzième
mois en moyenne, le quinzième mois aux garçons.
La durée de la tétée à deux
mois est plus longue pour les garçons (quarante cinq
minutes) que pour les filles (vingt cinq minutes).
- Elena Gianini
Belotti écrit :
- « Le fait d'être nourri au
sein,et pour une période suffisamment longue, ne
représente pas un avantage purement physique, mais aussi
psychique. Il signifie pour l'enfant la preuve tangible de la
disponibilité du corps maternel à son
égard, et en retour l'importance de son propre
corps. »
- « C'est le conditionnement des femmes,
auquel bien peu d'entre elles se soustraient, qui impose qu'on donne au
garçon la meilleure part. Le mammisme est un
phénomène qui ne produit envers le
garçon et non la fille. Allaiter donne un certain plaisir
érotique, plus accepté et "normalisé"
si ce plaisir
éprouvé est le fait du petit mâle
».
- Dans la même idée, les caresses
sont moins fréquentes et moins prolongées pour
les filles que pour les garçons, les jeux de la
mère avec le sexe de son enfant (attouchement, massage)
dépendent de sa "nomenclature"
sexuelle. Des études faites chez les Japonais par des
sociologues et sexologues (études qui trouvent leur
résonance en Occident) relatent et interprètent
ainsi la relation mère/enfant puis, très vite, la
différenciation sexuelle mère/garçon,
mère/fille.
- « Le bébé
à un contact corporel très étroit avec
sa mère jusqu'à ce qu'il soit en âge de
marcher. On masse même les parties génitales du
garçon pour lui faire plaisir. Puis, sans transition, il
doit apprendre à se conformer aux tabous de la
communauté. Cette brusque rupture vers deux ans dans les
habitudes du bébé crée une frustration
intense. Chez le petit garçon japonais, elle prend la forme
de crises de colère qu'il a le droit d'exprimer verbalement
et physiquement sur le corps de sa mère, mais non sur celui
de son père. Par contre, les accès de
colère sont formellement interdits aux filles. Pour le
garçon, la vengeance contre les frustrations tactiles peut
se réaliser sous forme de sadisme (guerre-torture) ou de
suicide. Pour la fille qui vit avec ses refoulements, c'est
l'hystérie. »
- Quotidiennement, les filles sont l'objet
d'hostilité et de discriminations affectives, corporelles et
sexuelles de la part de leur mère. Portée avec
plus d'enthousiasme vers le garçon dans toutes les
subtilités du contact et de l'amour que sont les
échanges amoureux, la mère aliène et
ferme sa fille. Elle oublie que sa fille à un sexe (la
mère n'a-t-elle pas oublié elle aussi qu'elle
avait un sexe ?), enrobe la petite fille d'un voile de
mystère. Mystère pour la mère,
mystère pour la petite fille, la femme en devenir se perd et
s'ignore.
- Depuis quelques années nous assistons
à une évolution socioculturelle importante du
rôle du père envers ses enfants et surtout les
jeunes enfants.
- Les pères qui donnent le biberon,
changent leur bébé, l'amènent chez le
pédiatre ne sont plus des exceptions et les
médias les nomment "les nouveaux pères" ,
"père-mère",
"père-poule". Ils s'occupent des soins
de leurs enfants ou même d'autres enfants dans le cas d'homme
"assistante maternelle" travaillant dans les
crèches.
- E. Badinter, dans L'Amour en plus, remet
en
question la notion de l'instinct maternel inscrit dans le code
génétique de la femme. Et si la fibre maternelle
était universelle ? Et si les pères ne voulaient
plus être l'autorité, le père qui juge
et punit quand il rentre ?
- Quelques années après les
groupes-femmes, lieux de parole où les femmes
échangeaient leurs interrogations quotidiennes (sur le
partage des rôles masculin-féminin, sur la
contraception, l'avortement, l'éducation, etc.), sont
apparus des groupes-hommes. Nouveaux militants, jouant sur les actes
concrets de leur vie, ces hommes ont participé aux
récentes expériences françaises de
contraception hormonale masculine, ont diffusé une
information sur la vasectomie, ont créé des
associations de pères divorcés
réclament la garde de leurs enfants sur des
critères autres que l'a-priori traditionnel « la
mère est plus apte à s'occuper des enfants
».
- Dans un contexte moins militant, des
pères de professions variées prennent des
congés parentaux, s'occupent de leurs
bébés et de la maison pendant que leurs femmes
vont travailler et rentrent tard. Et dans une récente
émission de télévision sur la garde
des enfants après le divorce, un père
interviewé avec son bébé de quelques
mois disait bien la facilité avec laquelle il s'occupe de
son enfant et le plaisir qu'il en retirait. Le succès de la
série télévisée
intitulée "Papa-poule" signifie que
les frontières entre masculin et féminin sont
moins nettes actuellement.
- «
Seul le toucher fournit la certitude d'une
réalité »
Guy Lazorthes
- Dr Lucien Mias - juin 2002
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