H. Ellis, médecin anglais, né en 1859 et décédé à 80 ans en 1939, a accumulé les observations sur les coutumes et les moeurs, études biologiques, psychologiques, culturelles. Il s'est attaché aux aspects conscients de la sexualité alors que Freud - qu'il a connu - débusquait l'inconscient après Charcot. Beaucoup de faits relevés ont disparu de nos jours mais expliquent certaines idées reçues culturelles et certains comportements.
« Le charme supposé de la disparité dans l'attraction sexuelle. - L'admiration de la haute taille. - L'admiration de la pigmentation foncée. - Le charme de la parité. L'appartement conjugal. - Les résultats de la statistique sur l'apparence générale, la taille et la pigmentation des couples mariés. - Le mariage préférentiel et le mariage "assortatif". - La nature de l'avantage que les personnes blondes atteignent dans la sélection sexuelle. - L'horreur de l'inceste et les théories sur la cause de cette horreur. - L'explication relativement simple. - L'horreur de l'inceste par rapport à la sélection sexuelle. - Les limites du charme de la parité dans l'assortiment conjugal. - Le charme de la disparité dans les caractères sexuels secondaires.
- Cette opinion n'a pas toujours régné. Il y a déjà plusieurs siècles, Léonard de Vinci, l'homme qui en tant de points a anticipé les découvertes les plus modernes, a affirmé clairement et à plusieurs reprises le charme de la parité.
- Après avoir remarqué que les peintres ont une tendance à dessiner des visages qui leur ressemblent, il ajoute que les hommes deviennent aussi amoureux et qu'ils épousent celles qui leur ressemblent, ou, comme il le dit ailleurs : « Chi s'innamora voluntieri s'innamorano de cose a loro somiglianti (1). » Mais on dirait que, depuis Léonard de Vinci jusqu'à nos jours, ces paroles ont passé inaperçues.
- Bernardin de Saint-Pierre dit que « l'amour est le résultat des contrastes » et Schopenhauer affirme la même chose d'une manière brutale. Plusieurs auteurs scientifiques et non scientifiques ont reproduit ces affirmations (2).
- Pour autant qu'il s'agisse de la taille, il paraît qu'il y a très peu de raisons de croire que ce « charme de la disparité » joue un rôle considérable pour constituer l'idéal sexuel chez les hommes ou chez les femmes. On peut probablement affirmer au contraire que les hommes autant que les femmes recherchent la haute taille chez la personne vers laquelle ils ou elles sont sexuellement attirés.
- Darwin cite l'opinion de Mayhew que, chez les chiens, les femelles sont fortement attirées vers les mâles de grande taille (3). Je crois que cela est vrai, et c'est probablement un exemple particulier d'une tendance psychologique générale.
- Il faut observer, comme indication de la direction de l'idéal sexuel en ces matières, que les héroïnes des romanciers masculins sont rarement petites et que les héros des romanciers féminins sont presque sans exception de haute taille.
- Un critique littéraire s'est adressé aux femmes auteurs pour leur demander des héros de plus petite taille, et il a publié des statistiques sur ce point.
- « Les héros sont cette année plus grands que jamais. Sur 192 dont j'ai eu à m'occuper depuis octobre de l'an passé, 27 étaient simplement grands, tandis que 11 seulement étaient un peu au-dessus de la taille moyenne. Non moins de 85 mesuraient exactement six pieds, et les autres étaient encore beaucoup plus grands. J'estime la taille moyenne de ces héros à 1,90 m (4). »
- Comme petite contribution à l'étude du « charme de la disparité » et aussi comme examen du degré dans lequel les personnes grandes et petites sont recherchées par celles du sexe opposé, j'ai examiné une série de données dans le Round About, publication d'un club présidé par W.-T. Stead, et dont le but est de faciliter la correspondance, l'amitié et le mariage entre ses membres. Il y a deux classes d'adhésions : celles qui ont pour but « l'amitié intellectuelle » et celles qui ont le mariage pour but. Je n'ai pas cru nécessaire de conserver cette distinction. Si un homme décrit sa propre condition physique et celle de la dame qu'il désire comme amie, je suppose que, du point de vue de la présente enquête, il peut être assimilé à celui qui cherche une femme. Dans la série de données que j'ai examinée, 35 hommes et femmes désignent la taille approximative de celle ou de celui qu'ils cherchent à connaître ; 30 donnent aussi leur propre taille.
- Bien que les cas soient peu nombreux, les résultats sont, sous deux rapports différents, assez clairs. En premier lieu, ceux qui cherchent la parité, autant les hommes que les femmes, l'emportent sur ceux qui cherchent la disparité. En second lieu, l'existence d'une disparité quelconque n'est due qu'au désir universel de trouver une personne de haute taille. Aucun homme et aucune femme ne désigne une petite taille comme son idéal. Le fait qu'aucun homme, dans ces annonces préliminaires, ne se décrit comme petit (tandis que la plupart d'entre eux affirment être grands) indique que la petite taille n'est jamais désirée. Cela est encore prouvé par le fait que les femmes mentionnent très souvent qu'elles sont grandes.
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- - 1. L. de Vinci, Frammenti, choisis par Solmi, pp. 177.180.
- - 2. N. D. A. : Westermarck, History of human marriage, p. 354, accepte ce « charme de la disparité » et donne des documents.
- - 3. La Descendance de l'homme, part. Il, chap, XVII.
- - 4. A Plea for shorter heroes, Speaker, 26 juillet 1890.
- - 5. N. D. A. : Bloch, Beiträge, etc., t. II, pp. 260 sq., parle de la tendance au mélange des races et de l'attraction sexuelle exercée par la négresse et parfois par le nègre sur les personnes blanches, comme une preuve de ce charme de la disparité. Mais nous nous trouvons ici partiellement devant des affirmations vagues d'après des faits imparfaitement connus, et partiellement devant des variations purement individuelles de cet amour de l'exotique stimulé par les conditions civilisées dont nous avons déjà parlé.
- - 6. N. D. A. : Sous ce rapport, le cas exceptionnel de Tennyson offre de l'intérêt. Il était né et fut élevé dans la partie la plus blonde de l'Angleterre (Lincolnshire), mais lui et la famille dont il descendait étaient bruns à un degré remarquable. Dans ses oeuvres il n'y a que des traces de l'admiration conventionnelle pour les blondes, mais il éprouve une admiration visible et extraordinaire pour les femmes brunes, pour les femmes qui ressemblent à la famille dont il descendait lui-même. - N. D. Traducteur. : Comparez Havelock Ellis, The Colour Sense in literature, Contemporary Review, mai 1896.
- - 7. N. D. A : Il faut mentionner que, dans le Round About déjà cité, bien qu'aucun homme n'exprime le désir de rencontrer une femme petite, lorsqu'il répond à des annonces insérées par des femmes et qu'il déclare qu'une telle femme lui conviendrait, il est néanmoins vrai que les personnes ainsi désignées sont en grande partie petites.
- - 8. N. D. É. : La relation sado-masochique apparaît notamment comme un des principaux mécanismes contribuant inconsciemment à la formation des couples névrotiques si souvent observés.
- - 9. N. D. A. : Elle a été examinée par F. Debret, La Sélection naturelle dans l'espèce humaine. Thèse de Paris, 1901. Debret la considère comme un résultat de la sélection naturelle.
- -10. Alphonse de Candolle, Hérédité de la couleur des yeux dans l'espèce humaine. Archives des sciences physiques et naturelles, série 3, t. XII, 1884, p. 109.
- - 11. Revue scientifique, janvier 189I.
- - 12. N. D. A. : F. Galton, Natural Inheritance, p. 85. Il faut remarquer que les tables données par Galton, p. 206, montrent un faible excès de disparité par rapport à la sélection sexuelle par la taille, mais par rapport à la couleur des yeux, ces tables sont une anticipation aux faits plus nombreux de Karl Pearson, et, dans les mariages de disparité, ces mêmes tables montrent une infériorité décisive des résultats observés sur les résultats hasardeux. Galton a aussi découvert que chez les parents la parité l'emportait sur la disparité (78 contre 31), autant par rapport au tempérament qu'à la couleur des cheveux et des yeux. Galton, English Men of science, pp. 22-33.
- - 13. N. D. É. : Les survivances oedipiennes sont une des principales explications possibles de la ressemblance entre époux : recherche dans l'épouse (et inversement) d'une image parentale avec laquelle on a déjà une certaine ressemblance physique.
- - 14. N. D. A. : Karl Pearson, Phil. Trans. Roy. Soc., t. CLXXXIII, p. 273, et t. CXCV, p. Il 3, Proc. Roy. Soc., t. LXVI, p. 28; Grammar of science, 2e éd., 1900 pp. 425 sq.; Biometrika, novembre 1903. Cette revue contient aussi une étude : Assortative mating in Man, où des témoignages sont cités pour prouver que, en dehors de l'influence du milieu, « la durée de la vie est un caractère qui est soumis à la sélection », C'est-à-dire que les personnes qui vivent longtemps présentent une tendance à se marier avec d'autres personnes de vie longue ; il en est de même des personnes de vie courte.
- - l5. Voir, pour le résumé des témoignages sur ce point, Havelock Ellis, Man and Woman, 4e éd., 1904, pp. 256-264.
- - 16. The comparative abilities of the fair and dark, Monthly Review, août 1901.
- - 17. N. D. A : Le fait que même, en Europe, l'horreur de l'inceste n'est pas toujours fortement ressentie est démontré par Bloch, Beiträge, etc., t. Il, pp. 263 sq.
- - 18. Westermarck, History of human marriage, chap. XIV ET XV.
- - 19. Crawley, The Mystic Rose, p. 446, a fait ressortir qu'il n'est pas permis d'affirmer la possibilité d'un "instinct" de ce caractère ; l'instinct « n'a rien dans son caractère que d'être une réponse de la fonction au milieu ».
- - 20. N. D. A. : Fromentin, dans son roman largement autobiographique Dominique, fait dire par Olivier : « Julie est ma cousine, ce qui est peut-être une raison pour qu'elle me plaise un peu moins qu'une autre. Je l'ai toujours connue. Nous avons pour ainsi dire dormi dans le même berceau. Il y a des gens que cette quasi-fraternité pourrait séduire. Mais, cette seule pensée d'épouser quelqu'un que j'ai vue poupée me parait comique comme l'idée d'accoupler deux joujoux. »
- - 2l. N. D. A. : Crawley, The Mvstic Rose, chap, XVII, peut avoir raison de dire que le tabou sexuel joue un rôle chez les peuples primitifs pour prévenir les unions incestueuses, comme le font l'éducation et les idées morales chez les peuples civilisés. Voir encore Frazer, Totemism and Exogamy.
- - 22. N. D. A : Les remarques du marquis de Brisay, une autorité sur les pigeons, citées par Giard, L'Intermédiaire des Biologistes, 20 novembre l89'7, ont beaucoup d'intérêt ici, parce qu'elles correspondent à ce que nous trouvons dans l'espèce humaine : « Deux oiseaux du même nid s'accouplent rarement. Les oiseaux originaires du même nid se comportent comme s'ils regardaient l'accouplement comme défendu, ou plutôt ils se connaissent trop bien, et, semblant ignorants de leur différence de sexe, demeurent dans leurs relations inaffectés par les changements qui les transforment en oiseaux adultes. » - Westermarck, op. cit., p. 334, fait quelques remarques sur une tendance semblable observée parfois chez les chiens et les chevaux.
- - 23. voir appendice B de L'lmpulsion sexuelle : l'Impulsion sexuelle chez les sauvages.
- - 24. N. D. É. : L'inceste est un problème qui, depuis Ellis, a sollicité l'attention des psychanalystes et des sociologues. La psychanalyse enseigne que l'animal humain nait et se développe incestueux (attraction pour le parent du sexe opposé) mais il s'agit d'inceste infantile, refoulé au moment où le jeune adopte moralité et socialité. Quant à la prohibition de l'inceste dans les familles polygamiques, le sociologue Claude Levi-Strauss a montré que le facteur culturel d'ordre moral est postérieur à la nécessité sociale d'élargir le groupe par un mariage avec une fille n'appartenant pas à la famille. C'est cette prohibition d'origine socio-écononiique qui s'est, à travers les siècles, justifiée par le péché incestueux. Mais même dans les familles civilisées et cultivées, l'attraction sexuelle (de père à fille ou, plus encore, de frère à soeur) existe fréquemment, bien que restant le plus souvent du domaine de l'attraction amoureuse dépouillée de réalisation pratique.
- - 25. N. D. A. : Kistemaecker, cité par Bloch, Beiträge, etc., t. Il, p. 340, fait allusion à ce propos aux vêtements sombres des hommes, et à la tendance des femmes à porter des vêtements plus clairs, à faire ressortir le linge, à soigner la pâleur du visage, à employer de la poudre. « Je suis blanche et tu es brun ; donc tu dois m'aimer » ; ce raisonnement, dit-il, se trouve dans les profondeurs de tout coeur de femme.
- - 26. K. Pearson, Grammar of science, 2e éd., p. 430.
- - 27. N. D. A. : Dans Man and Woman, 4e éd., p. 65, j'ai cité un exemple curieux de cette tendance d'opposition qu'on trouve dans le monde presque tout entier. Chez certains peuples la coutume veut que les femmes restent debout pour uriner, et dans ce cas la coutume veut ordinairement que les hommes s'accroupissent. Dans la plupart des pays, les pratiques des deux sexes au cours de cet acte sont opposées l'une à l'autre.
- - 28. N. D. A. : Il suffira de citer un seul exemple. À la fin du XVIe siècle, on fit un grief sérieux à l'épouse élégante d'un pasteur anglais d'Amsterdam qu'elle eût un corsage ou un corset fixé à la jupe au moyen de dentelle, comme font les hommes avec leurs pourpoints et leurs hauts-de-chausses, contrairement à I Thess., 5, 22, comparé à Deutéronome, 22, 5, et I Jean, 2, 16.
- - 29. N. D. É. : La mode du pantalon, chez la femme, à évoquer ici, peut s'expliquer par l'intersexualité omniprésente. »
- Éditique : Dr Lucien Mias - juin 2009