La maturité affective d'un manager s'observe dans son fonctionnement quotidien par les caractéristiques suivantes :
L'engagement est l'acte par lequel le management crée lui-même la situation qui l'oblige.
Pour l'hôpital, cette innovation est appel
à l'imaginaire. Il y a là une
possibilité d'élaborer un nouveau discours,
où la créativité et ce qui surprend
sont les réponses adaptées aux sollicitations
turbulentes issues de l'environnement.
En légitimant la pensée marginale, le jeu, le
propos inattendu, l'hôpital accroît sa
rationalité, s'ouvre à des apports encore plus
enrichissants, complète ses modèles de
pensée par une approche vivifiante. L'appel à
l'imaginaire complète le savoir scientifique car il donne
accès à l'affectivité et à
l'inconscient. C'est une démarche qui a pour effet de casser
les routines et les schémas traditionnels. Certes, ce
déblocage de l'imaginaire ne suppose pas que toutes les
idées émises seront adoptées ; mais
une telle pratique aura pour effet d'augmenter la quantité
de solutions, de percevoir les problèmes sous des aspects
variés, de faire circuler l'information.
Ce sera une oxygénation des processus rationnels. Une fois
ce foisonnement intellectuel émis, il convient d'analyser,
d'évaluer les productions de l'imaginaire.
La vision rapproche deux perspectives : l'une précise, pour ôter tout risque d'interprétation, l'autre, globale, pour unifier les multiples projets des individus et des groupes.
L'engagement est d'autant plus mobilisateur que le dessein présente un spectre étendu, qu'il réunit les compétences de chacun dans l'ensemble social et qu'il est perçu par le personnel lors de contacts fréquents.
Rappelons la forte affirmation de T. Roosevelt sur le manager : « S'il échoue, qu'au moins il échoue en osant de grandes choses, de sorte que sa place ne soit jamais celle de ces âmes froides et timides qui ne connaissent ni la victoire ni la défaite. »
A. Rubinstein disait que, s'il manquait un jour de travail, il le remarquait dans la qualité de sa prestation ; s'il en manquait deux, les critiques le remarquaient ; et s'il en manquait trois, c'était son public.
Être persévérant, c'est accueillir l'événement, négocier avec le moyen terme et labourer pour le long terme. D'autant que les investissements matériels et humains dans le milieu hospitalier ne s'amortissent pas en un mois.
La persévérance va favoriser la permanence de l'identité. Les groupes humains ont besoin d'une histoire et d'une continuité pour se reconnaître et fortifier leur appartenance. Dans ce cas, les ruptures, fréquentes en période de turbulence (rationalisation, déréglementation, changements d'activités), quoique perturbantes, ne remettent pas en cause la nécessaire identification du personnel à son organisation. La persévérance donne un sens aux métiers de l'organisation, à son positionnement sur ses marchés.
L'enthousiasme est une adhésion passionnée à un objectif. Il mobilise les ressources pour un engagement total. Il anime avec joie le désir de la réussite. « Rien ne réussit autant que la réussite ».
L'enthousiasme va avec la confiance en soi, cette spirale d'énergie positive. Il est ferveur (enthéos signifie « habité par un dieu » ). Il est vertu de l'élan qui accompagne les grands desseins et redonne courage lors des moments de doute.
Les managers font-ils référence par leur comportement ? Sont-ils source d'identification ? Un test significatif pour connaître les valeurs clés des managers est d'écouter leurs propos et de noter les dix mots qu'ils utilisent le plus fréquemment. Chacun révèle dans ses propos ce qui le porte ou l'inquiète. L'on constate parfois une dissonance entre ce que le manager dit en privé et ce que son entourage entend : tel dirigeant affirme que la qualité totale des prestations hospitalières est sa préoccupation majeure et on attend en vain ces mots dans ces propos quotidiens.
Le manager vertueux accomplit lucidement et volontairement les actes qu'il juge conformes à ses valeurs. Pour mener à bien ses actions, deux dispositions rendent, plus que d'autres, le résultat probable : la persévérance et l'enthousiasme. La première est vertu de la durée et la seconde ajoute la passion à l'effort.
Dans leur processus, les changements peuvent être atteints de deux manières différentes : soit par la rupture ; soit d'une façon progressive, à petits pas et à la marge. Chaque processus se relie bien avec les deux vertus du manager : l'enthousiasme rompt des barrages, enrôle les hésitants ; la persévérance construit dans la continuité.
Une des équations de l'excellence à l'hôpital pourrait être : parti pris du client + obsession pour la qualité totale. Cette définition biface est à la fois tournée vers l'extérieur- qui apporte ses demandes - et vers l'intérieur- qui offre ses réponses.
Le malade, qui est-il ? Un patient, un usager, un organe,
un pensionnaire, un consultant, un administré, un client ?
Notons l'absence de neutralité du débat. Chaque
terme connote, véhicule une histoire, un lien
privilégié avec les structures de soins. Les
situations débordent les appellations. Patient et client,
par exemple, sont deux termes à faible recouvrement.
Sur quoi le client évalue-t-il
l'hôpital ?
Pour une forte majorité ce ne sera pas sur l'essentiel,
c'est-à-dire sur le soin, mais sur la conformité
à une attente commune et sur l'apparence, sur le relationnel
et sur les détails de la vie quotidienne.
Cela engage l'hôpital à pratiquer la
qualité totale, soit la recherche de l'excellence dans les
petites choses. Il importe également d'être
vigilant sur la manipulation des signes, sur la communication, sur les
dimensions de l'image de l'institution. Il ne suffit plus de
savoir-faire, il faut faire-savoir. Dans le monde médiatique
qui est le nôtre, le silence peut être
perçu comme un doute sur ses réalisations.
Le parti pris du malade-client est le fondement de la
survie. C'est la vision rapprochée de l'adaptation aux
satisfactions des besoins en santé de la
société globale.
Repérer sa place dans le secteur des soins, puis
connaître avec précision les attentes des malades,
ouvrent vers les réalités en qualité
totale. Celle-ci est la conformité aux besoins reconnus.
Elle s'appuie sur deux principes : croire dans les capacités illimitées de ses collaborateurs au développement ; autonomiser.
L'animation des hommes, dans ses aspects contemporains, ne met pas fin à l'autorité qui assure la liaison entre les préférences individuelles et les choix collectifs ; celle-ci relie ce qui peut l'être, impose son point de vue aux déviants, contraint les opposants. La fin de l'autorité serait la diffraction des valeurs centrales dans une multiplicité de projets particuliers. L'autorité permet au chef de maintenir le cap sur l'objectif posé, de préserver des orientations communes, de freiner les oscillations des humeurs et des caprices. Le contraire de l'autorité n'est pas la participation et la liberté, mais le chaos et l'incohérence. L'autorité est la chance des arbitrages. En conclusion, le chef n'est plus seulement celui qui dispose d'un pouvoir différencié, ni celui dont le prestige ou les qualités personnelles suscitent l'identification, ni celui dont la compétence professionnelle garantit l'efficacité technique, ni celui dont le sens humain ou la popularité maintient l'unité de groupe ; il est un multiplicateur d'efficacité. Il est pour l'essentiel celui par qui le succès arrive.
Le chef est un régulateur entre les projets. Il est davantage celui qui permet aux compromis divers qui doivent être négociés d'être recherchés avec le maximum de lucidité et de courage.
La question essentielle est : l'ensemble des établissements de l'hôpital public ont-ils les moyens de répondre, au même niveau qualitatif, aux tâches définies?
La logique du service public perd de sa sacralité. Elle trouve aujourd'hui une sérieuse rivalité idéologique dans la logique d'entreprise, plus accordée elle-même avec les actions d'analyse des objectifs, d'affectation des ressources et d'évaluation des résultats. L'hôpital public rattrape la modernité. À croire naïvement que le devoir social est la face soleil et la recherche des efficacités la face ombre, l'hôpital se condamne à refuser la gestion ; dès lors, celle-ci se réalise contre lui.
La dérive des coûts, la non-maîtrise des budgets handicapent en fait les autres ambitions. La logique d'entreprise n'est certes pas, en ce qui concerne l'hôpital, une logique de rentabilité dans le domaine du service public ; elle n'en est pas moins le moyen d'évaluer les coûts et par là d'orienter plus intelligemment les choix.Il appartient à chaque hôpital de déterminer sa formule provisoire, changeante en fonction des évolutions des besoins retenus de la communauté locale et des ressources disponibles à un moment donné.
Dans tous les cas, une des idées défuntes sur l'hôpital public concerne le maintien de l'univers des acquis sans contrepartie, en termes de qualité pour le soin ou la prévention, et en termes d'équilibre coûts-avantages.
Aucun groupe humain hospitalier (administratifs, médecins, infirmières) ne peut survivre comme une unité discrète, indépendamment des autres. Chacun est soumis aux évolutions des systèmes plus vastes auxquels il appartient : aujourd'hui c'est l'organisation européenne de la santé qui devient le point commun de référence.Plusieurs pratiques de management peuvent atténuer le sentiment d'isolement de chaque groupe :
- expliciter des valeurs communes à l'hôpital,
- rédiger une charte des valeurs,
- offrir des signes de reconnaissance positifs aux différentes catégories en rappelant leur contribution de fait à l'Ïuvre collective,
- aider par la formation l'ensemble des acteurs à actualiser en permanence leurs savoirs professionnels,
- valoriser les réussites afin que chacun trouve une rétribution à la mesure de sa contribution,
- stimuler les échanges entre les métiers et les services,
- affirmer que le malade est soigné par l'hôpital tout entier.
Ainsi, un jardinier qui parle de ses fleurs fait un acte de soin dans un service de personnes âgées.
Les hôpitaux étendront leurs activités au sein de la communauté. Ils feront face à des problèmes nécessitant un élargissement de leurs objectifs et une meilleure définition de ceux-ci, afin de prendre en compte la médecine préventive et la pratique de l'hygiène publique.
- Le CHR aura dans la vie sanitaire de la région une grande puissance d'attraction, poussant les hôpitaux périphériques à une définition précise de leurs propres prestations : établissements pour chroniques ou handicapés, centres de rééducation, maisons médicales de retraite.
- La médecine de ville, déchargée des investigations somatiques, se consacrera plus à une pratique d'accompagnement portant sur des soins psycho-somatiques, où l'heure d'écoute sera enfin remboursée comme une heure de soins. La spécialisation anatomo-clinique est le point extrême de la réussite technique ; elle laisse cependant en suspens le problème énorme de l'écoute du malade, de l'éducation sanitaire, de l'accompagnement psychologique.
- Les services hospitaliers, de petites tailles, hautement spécialisés, se concentreront sur leurs savoir-faire : bilans, soins intensifs, réanimation.
- Les durées de séjour extrêmement brèves alliées à l'hôpital de jour et l'hospitalisation à domicile réduiront à peu les anciens services de médecine et de chirurgie générales. La chirurgie devient plus complète, moins mutilante, plus fine grâce aux techniques de l'imagerie interventionnelle, de la chirurgie sans bistouri par laser, de l'endoscopie interventionnelle.
- L'hôpital s'allégera progressivement des charges logistiques, qui seront confiées à des partenaires extérieurs, pour se consacrer à la maîtrise des activités médicales.Pour le bien des populations à soigner, l'hôpital se doit de se concentrer sur des priorités définies, dépendantes elles-mêmes à la fois des points forts de la structure et de la demande sectorielle.
- Le Pr A. Steg le dit nettement dans son rapport sur l'Urgence à l'hôpital (1989) : « Il faut accepter l'idée qu'on ne peut pas tout faire partout. »
- Aujourd'hui c'est l'égalité d'accès aux établissements qui est cause d'une inégalité dans la qualité des prestations. Un guide Michelin - basé sur des données objectives - des actuels services des urgences montrerait la présence d'établissements « trois étoiles » et d'établissements malchanceux. Le véritable objectif est dans l'égalité d'accès à des ressources équivalentes. Cela suppose d'accepter que chaque structure de soins développe ses compétences distinctives. Nous allons ainsi vers la fin de la dangereuse homogénéité du service public pour la population.
- Toute organisation a en son sein des tendances bureaucratiques, mais celles-ci deviennent exagérément présentes lorsque « l'entreprise consacre moins de deux tiers de son énergie à ses activités et plus d'un tiers à son organisation » (S. Davis, 1988).Là, le système se nourrit de lui-même. Au lieu de se centrer sur l'essentiel : la détection de ses marchés ou la recherche technologique, l'hôpital se donne du travail à lui-même par la multiplicité d'écrits de service à service, de notes en réponse à d'autres notes, de stériles réunions. Mais peut-être l'illogisme procédurier a-t-il un sens profond : l'organisation stabilisée des ensembles humains serait une réassurance contre une anxiété primitive. Le même rassure, mais hélas il est dysfonctionnel.
- Les individus « se servent des institutions dont ils sont membres pour renforcer des mécanismes de défense contre l'anxiété, en particulier contre le retour d'anxiétés primitives, paranoïdes et dépressives » (E. Jacques, 1955).
- Le plus gros risque aujourd'hui est de ne pas en prendre, et d'espérer que le souffle du changement passera au loin. L'état d'équilibre, qui a longtemps constitué le modèle du monde, est devenu aujourd'hui un cas particulier parmi une pluralité d'états instables, comme la verticale n'est qu'un cas particulier de l'oblique. Comme le rappelle avec force M. Serres (1980) : « Le réel n'est pas rationnel ; il est improbable et miraculeux » .
- Il n'y a pas de théorie du management qui permette de réduire l'incertitude du futur. Une sécurité ressentie peut naître de la confiance provisoire dans les capacités d'adaptation des acteurs.
Dr Lucien Mias
10 octobre 1998