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Cadre hospitalier et management  images/logoPdf8k.jpg10  pages
Source : L'hôpital en turbulence, Georges Nizard, psychosociologue, Privat, 1994,184 p.
Courts extraits d'un livre remarquable par son analyse et ses propositions

La maturité affective d'un manager s'observe dans son fonctionnement quotidien par les caractéristiques suivantes :

 L'engagement du management et ses vertus

L'engagement est l'acte par lequel le management crée lui-même la situation qui l'oblige.
L'innovation « est par essence une turbulence » (D. Blondel, 1990) ; en effet, toute réussite porte en soi son principe de répétition et par là aujourd'hui ses risques d'échec.
On connaît les désastres pour le futur d'une affirmation telle que « l'on ne change pas une équipe qui gagne » ; rien de tel pour assoupir le sens critique, éteindre trop vite la réflexion sur les fructueuses remises en cause, car « le difficile n'est pas d'avoir des idées nouvelles mais de s'arracher aux anciennes ramifiées dans tous les coins de nos esprits » (Keynes, 1936).
Respecter les réussites du passé, fort bien, mais cela n'autorise pas à maintenir leurs principes sans vérification. Les idées et les structures comme nos réalisations ont un cycle de vie.
« Les meilleures sociétés se débarrassent des produits et des compétences qui leur ont justement permis de réussir » (R. Foster, 1986).

Pour l'hôpital, cette innovation est appel à l'imaginaire. Il y a là une possibilité d'élaborer un nouveau discours, où la créativité et ce qui surprend sont les réponses adaptées aux sollicitations turbulentes issues de l'environnement.
En légitimant la pensée marginale, le jeu, le propos inattendu, l'hôpital accroît sa rationalité, s'ouvre à des apports encore plus enrichissants, complète ses modèles de pensée par une approche vivifiante. L'appel à l'imaginaire complète le savoir scientifique car il donne accès à l'affectivité et à l'inconscient. C'est une démarche qui a pour effet de casser les routines et les schémas traditionnels. Certes, ce déblocage de l'imaginaire ne suppose pas que toutes les idées émises seront adoptées ; mais une telle pratique aura pour effet d'augmenter la quantité de solutions, de percevoir les problèmes sous des aspects variés, de faire circuler l'information.
Ce sera une oxygénation des processus rationnels. Une fois ce foisonnement intellectuel émis, il convient d'analyser, d'évaluer les productions de l'imaginaire.

La recherche de l'excellence : le parti pris du malade-client et la qualité totale

Une des équations de l'excellence à l'hôpital pourrait être : parti pris du client + obsession pour la qualité totale. Cette définition biface est à la fois tournée vers l'extérieur- qui apporte ses demandes - et vers l'intérieur- qui offre ses réponses.
En attente de soins, les malades sont tout aussi diversifiés sur les plans ethniques, linguistiques et religieux. Et c'est bien le malade qui constitue la justification d'une équipe, sa référence fondamentale, son ancrage dans la réalité.

Le malade, qui est-il ? Un patient, un usager, un organe, un pensionnaire, un consultant, un administré, un client ?
Notons l'absence de neutralité du débat. Chaque terme connote, véhicule une histoire, un lien privilégié avec les structures de soins. Les situations débordent les appellations. Patient et client, par exemple, sont deux termes à faible recouvrement.

Sur quoi le client évalue-t-il l'hôpital ?
Pour une forte majorité ce ne sera pas sur l'essentiel, c'est-à-dire sur le soin, mais sur la conformité à une attente commune et sur l'apparence, sur le relationnel et sur les détails de la vie quotidienne.
Cela engage l'hôpital à pratiquer la qualité totale, soit la recherche de l'excellence dans les petites choses. Il importe également d'être vigilant sur la manipulation des signes, sur la communication, sur les dimensions de l'image de l'institution. Il ne suffit plus de savoir-faire, il faut faire-savoir. Dans le monde médiatique qui est le nôtre, le silence peut être perçu comme un doute sur ses réalisations.

Le parti pris du malade-client est le fondement de la survie. C'est la vision rapprochée de l'adaptation aux satisfactions des besoins en santé de la société globale.
Repérer sa place dans le secteur des soins, puis connaître avec précision les attentes des malades, ouvrent vers les réalités en qualité totale. Celle-ci est la conformité aux besoins reconnus.

Le personnel, par ses refus ou par ses enthousiasmes, ses hésitations ou ses engagements, compromet ou poursuit avec persévérance l'édification du processus de qualité totale. Il est à la source de la réussite par son adhésion et sa constance. Car la qualité totale est l'excellence dans les petites choses ; elle fait sienne la pensée de Michel-Ange : « La perfection est faite de détails mais la perfection n'est pas un détail. »
Toute activité humaine est sujette à évaluation. Celle-ci est une analyse des conformités aux objectifs, une chance de régulation du système, une réflexion sur les pratiques. Elle concerne l'ensemble des prestations de l'hôpital. 
Citons d'une manière non exhaustive :
Mais nous pouvons tout autant citer l'évaluation des compétences en management ou des relations avec les tiers : médecins de ville, tutellesÉ L'évaluation détermine, par corps professionnels, les critères significatifs de l'efficacité. Elle renforce les pratiques de conformité, de sécurité, d'utilité, bref de qualité totale, de l'hôpital. Pourtant, si les vertus de l'évaluation sont évidentes, force est de constater cependant les résistances culturelles des personnels surtout aux niveaux les plus élevés.
L'évaluation enrichit la connaissance, permet de proposer et de réaliser la meilleure prestation. Elle est une pratique clé de l'adaptation. Un refus de celle-ci est un véritable déni de compétence de la part de ceux qui s'y opposent.
Les décennies de l'humain prennent la succession des décennies de la fabrication des choses ; il importe aujourd'hui de « mettre l'accent sur les talents, et non sur les règlements » (L.HK Secretan,1989).

 La direction partagée

Elle s'appuie sur deux principes : croire dans les capacités illimitées de ses collaborateurs au développement ; autonomiser.

L'animation des hommes, dans ses aspects contemporains, ne met pas fin à l'autorité qui assure la liaison entre les préférences individuelles et les choix collectifs ; celle-ci relie ce qui peut l'être, impose son point de vue aux déviants, contraint les opposants. La fin de l'autorité serait la diffraction des valeurs centrales dans une multiplicité de projets particuliers. L'autorité permet au chef de maintenir le cap sur l'objectif posé, de préserver des orientations communes, de freiner les oscillations des humeurs et des caprices. Le contraire de l'autorité n'est pas la participation et la liberté, mais le chaos et l'incohérence. L'autorité est la chance des arbitrages. En conclusion, le chef n'est plus seulement celui qui dispose d'un pouvoir différencié, ni celui dont le prestige ou les qualités personnelles suscitent l'identification, ni celui dont la compétence professionnelle garantit l'efficacité technique, ni celui dont le sens humain ou la popularité maintient l'unité de groupe ; il est un multiplicateur d'efficacité. Il est pour l'essentiel celui par qui le succès arrive.

Le chef est un régulateur entre les projets. Il est davantage celui qui permet aux compromis divers qui doivent être négociés d'être recherchés avec le maximum de lucidité et de courage.

La question essentielle est : l'ensemble des établissements de l'hôpital public ont-ils les moyens de répondre, au même niveau qualitatif, aux tâches définies?

La logique du service public perd de sa sacralité. Elle trouve aujourd'hui une sérieuse rivalité idéologique dans la logique d'entreprise, plus accordée elle-même avec les actions d'analyse des objectifs, d'affectation des ressources et d'évaluation des résultats. L'hôpital public rattrape la modernité. À croire naïvement que le devoir social est la face soleil et la recherche des efficacités la face ombre, l'hôpital se condamne à refuser la gestion ; dès lors, celle-ci se réalise contre lui.
La dérive des coûts, la non-maîtrise des budgets handicapent en fait les autres ambitions. La logique d'entreprise n'est certes pas, en ce qui concerne l'hôpital, une logique de rentabilité dans le domaine du service public ; elle n'en est pas moins le moyen d'évaluer les coûts et par là d'orienter plus intelligemment les choix.

Il appartient à chaque hôpital de déterminer sa formule provisoire, changeante en fonction des évolutions des besoins retenus de la communauté locale et des ressources disponibles à un moment donné.

Dans tous les cas, une des idées défuntes sur l'hôpital public concerne le maintien de l'univers des acquis sans contrepartie, en termes de qualité pour le soin ou la prévention, et en termes d'équilibre coûts-avantages.

Aucun groupe humain hospitalier (administratifs, médecins, infirmières) ne peut survivre comme une unité discrète, indépendamment des autres. Chacun est soumis aux évolutions des systèmes plus vastes auxquels il appartient : aujourd'hui c'est l'organisation européenne de la santé qui devient le point commun de référence.Plusieurs pratiques de management peuvent atténuer le sentiment d'isolement de chaque groupe :

  • expliciter des valeurs communes à l'hôpital,
  • rédiger une charte des valeurs,
  • offrir des signes de reconnaissance positifs aux différentes catégories en rappelant leur contribution de fait à l'Ïuvre collective,
  • aider par la formation l'ensemble des acteurs à actualiser en permanence leurs savoirs professionnels,
  • valoriser les réussites afin que chacun trouve une rétribution à la mesure de sa contribution,
  • stimuler les échanges entre les métiers et les services,
  • affirmer que le malade est soigné par l'hôpital tout entier.

Ainsi, un jardinier qui parle de ses fleurs fait un acte de soin dans un service de personnes âgées.

  L'hôpital du futur ...proche

Les hôpitaux étendront leurs activités au sein de la communauté. Ils feront face à des problèmes nécessitant un élargissement de leurs objectifs et une meilleure définition de ceux-ci, afin de prendre en compte la médecine préventive et la pratique de l'hygiène publique.
  • Le CHR aura dans la vie sanitaire de la région une grande puissance d'attraction, poussant les hôpitaux périphériques à une définition précise de leurs propres prestations : établissements pour chroniques ou handicapés, centres de rééducation, maisons médicales de retraite.
  • La médecine de ville, déchargée des investigations somatiques, se consacrera plus à une pratique d'accompagnement portant sur des soins psycho-somatiques, où l'heure d'écoute sera enfin remboursée comme une heure de soins. La spécialisation anatomo-clinique est le point extrême de la réussite technique ; elle laisse cependant en suspens le problème énorme de l'écoute du malade, de l'éducation sanitaire, de l'accompagnement psychologique.
  • Les services hospitaliers, de petites tailles, hautement spécialisés, se concentreront sur leurs savoir-faire : bilans, soins intensifs, réanimation.
  • Les durées de séjour extrêmement brèves alliées à l'hôpital de jour et l'hospitalisation à domicile réduiront à peu les anciens services de médecine et de chirurgie générales. La chirurgie devient plus complète, moins mutilante, plus fine grâce aux techniques de l'imagerie interventionnelle, de la chirurgie sans bistouri par laser, de l'endoscopie interventionnelle.
  • L'hôpital s'allégera progressivement des charges logistiques, qui seront confiées à des partenaires extérieurs, pour se consacrer à la maîtrise des activités médicales.Pour le bien des populations à soigner, l'hôpital se doit de se concentrer sur des priorités définies, dépendantes elles-mêmes à la fois des points forts de la structure et de la demande sectorielle.
  • Le Pr A. Steg le dit nettement dans son rapport sur l'Urgence à l'hôpital (1989) : « Il faut accepter l'idée qu'on ne peut pas tout faire partout. »
  • Aujourd'hui c'est l'égalité d'accès aux établissements qui est cause d'une inégalité dans la qualité des prestations. Un guide Michelin - basé sur des données objectives - des actuels services des urgences montrerait la présence d'établissements « trois étoiles » et d'établissements malchanceux. Le véritable objectif est dans l'égalité d'accès à des ressources équivalentes. Cela suppose d'accepter que chaque structure de soins développe ses compétences distinctives. Nous allons ainsi vers la fin de la dangereuse homogénéité du service public pour la population.
  • Toute organisation a en son sein des tendances bureaucratiques, mais celles-ci deviennent exagérément présentes lorsque « l'entreprise consacre moins de deux tiers de son énergie à ses activités et plus d'un tiers à son organisation » (S. Davis, 1988).Là, le système se nourrit de lui-même. Au lieu de se centrer sur l'essentiel : la détection de ses marchés ou la recherche technologique, l'hôpital se donne du travail à lui-même par la multiplicité d'écrits de service à service, de notes en réponse à d'autres notes, de stériles réunions. Mais peut-être l'illogisme procédurier a-t-il un sens profond : l'organisation stabilisée des ensembles humains serait une réassurance contre une anxiété primitive. Le même rassure, mais hélas il est dysfonctionnel.
  • Les individus « se servent des institutions dont ils sont membres pour renforcer des mécanismes de défense contre l'anxiété, en particulier contre le retour d'anxiétés primitives, paranoïdes et dépressives » (E. Jacques, 1955).
  • Le plus gros risque aujourd'hui est de ne pas en prendre, et d'espérer que le souffle du changement passera au loin. L'état d'équilibre, qui a longtemps constitué le modèle du monde, est devenu aujourd'hui un cas particulier parmi une pluralité d'états instables, comme la verticale n'est qu'un cas particulier de l'oblique. Comme le rappelle avec force M. Serres (1980) : « Le réel n'est pas rationnel ; il est improbable et miraculeux » .
  • Il n'y a pas de théorie du management qui permette de réduire l'incertitude du futur. Une sécurité ressentie peut naître de la confiance provisoire dans les capacités d'adaptation des acteurs.
Dr Lucien Mias
  10 octobre 1998
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