Retour au Greni-er à texte   -  Retour au management
images/bandelogo9k.gif
 
Autorité, prestige, leadership images/logoPdf8k.jpg 8  pages

Ce texte est la mise en page de la photocopie d'un article de G. Piaton (Département des Sciences de l'Éducation, Université Lumière à Lyon) publié en mai 1990, que le Dr Jean-Claude Boudaille, psychiatre, m'avait malicieusement offert pour me sensibiliser, eu égard à mon tempérament fougueux... à une époque ou nous gérions une situation ou il fallait "changer ou disparaître". Revue source non connue.

Des facteurs individuels irréductibles aux phénomènes collectifs comme aux interactions sociales jouent à la fois sur le plan social où s'inscrit l'influence de certains individus (les chefs ou leaders) et sur le plan privé où une personnalité quelconque peut accéder à une autonomie et au choix de son échelle de valeurs. 
N'y aurait-il plus, en nos institutions, que d'aimables animateurs collégiaux qui, de réunions d'équipes en synthèses et autres assemblées, consulteraient la base et ne prendraient que d'heureuses décisions ?
Serions-nous tous devenus leaders ? Ou tous membres d'une fraternité ou d'une sororité d'égaux différents et complémentaires ?
Entrons-nous vraiment dans la nouvelle société industrielle de Toffler où, à côté de la dématérialisation, de la réticulation, du développement de l'informatique, de la biologie et du quaternaire, serait présente et agie la vision contractuelle d'un anarchisme responsable qui s'efforce de conjuguer la liberté des personnes et la solidarité communautaire de leur association ?
 
De ce leadership - dont le membership n'est qu'une autre face, et inversement - nous esquisserons une évolution, d'hier à demain.
Autrefois fut l'autorité sacralisée du Sauveur, oint par une grâce divine.
Puis vint l'épanouissement partagé (et fortement discuté) d'un Capital humain dont nous serions tous dépositaires.
Avant que ne s'impose, peut-être bientôt, le pouvoir de la main invisible des néo-leaders de nos technofolies.  
JADIS
L'homme (le plus souvent) providentiel, émanation d'un Ciel, porteur de charismes et dont la séduction et la force n'ont même pas besoin d'être marquées. De ce chef, la psychologie sociale s'empare dés ses comportements, voulant le spécifier, décrire ses attributs significatifs, découvrir la clé de sa réussite.
Déjà Platon s'y était intéressé. Dans La République, qu'il écrivit dans les années 380, il traite du gardien de la cité qu'il veut « philosophe, irascible et fort ».
Machiavel, plus tard, en 1513, le conçoit « fin stratège et retors ».
Et depuis Binet qui, en 1890, analyse la suggestibilité dans les petits groupes, d'innombrables recherches ont été entreprises qui ont permis d'élaborer plusieurs centaines de définitions du leader et du leadership.
 
De cet individu influent, qui l'est parce qu'il détient, sur les autres membres du groupe, un pouvoir (cinq modes d'actions sont généralement distingués : récompense, punition, légitimité, identification, compétence) tout a été scruté : de l'éducation qu'il a reçue à l'activité professionnelle qu'il exerce, de sa taille à ses possibles lubies vestimentaires, des caractéristiques de sa pilosité à l'estimation de ses aptitudes intellectuelles, de son attractivité sexuelle à ses performances langagières, etc.
Près d'un siècle de travaux (qui se poursuivent : Les girls scouts et les oeuvres d'art comme modèles de gestion, Le Monde du 4 mai 1990) le plus souvent onéreux et minutieux, guettés, avec une extrême attention, par la classe économico-politique dirigeante qui ne désespère pas de voir un jour élaborée une recette de fabrication d'un best-leader.
 
Cinq thématiques de recherches différentes peuvent être successivement repérées : 
1) les recherches élitistes au début de ce siècle, sur la nature propre de l'Être-chef ; 
2) les recherches situationnistes, vers 1930-1940, selon lesquelles le leadership est non l'apanage d'une personne mais la résultante d'une structuration particulière du groupe : a contexte différents, leaders autres ; 
3) les recherches interactionistes, dans les années 1950, qui étudient l'interdépendance entre la personnalité du leader et l'organisation du groupe.
Bales illustrera cette tendance. Il note « le leadership est une relation individuelles, relation volontairement acceptée par la personne influencée, relation dans laquelle le leader et le suiveur se stimulent mutuellement » ; 
4) les recherches personnalistes, depuis 1960 et avec l'éclosion du rogérisme.
La notion de leader/leadership s'efface au profit de celle du « pouvoir de la personne », de toute personne.
Tous leaders ! Ou ce qui revient quasi au même : plus de leaders ! Tous étant membres d'une société « de rencontre » qu'Illich nommera "conviviale". 
5) les recherches techno-chimériques actuelles qui, dans des laboratoires le plus souvent financés par les militaires, frayent les nouvelles voies d'une domination qui s'appuierait sur les acquis des développements scientifiques récents.
Les investigations conduites déçurent largement tous ceux qui étaient en quête d'un modèle de commandement précis et reproductible.

Rien en définitive ne caractérise le "leader"
Certes, il est habituellement assez intelligent, manoeuvrier et tribun habile mais, hors de semblables banalités (quelquefois estimables ; ainsi dans Changer le changement, Seuil, 1989, H. Serieyx propose son seven up des « inducteurs de progrès » : esprit de projet/de qualité/de technologie/de compétence/de flexibilité/de reconnaissance positive ou négative des efforts accomplis), la chasse au chef est comme celle au dahut : un rêve que la lumière de l'aube dissout. 
Il faut en convenir, le leader n'est (naît) que si nous le créons.
Une fois encore la culture l'emporte sur la nature et à De Gaulle répondra Moscovici.
De Gaulle écrit dans Le fil de l'épée (Plon, 1944, p 66) : « Fait affectif, suggestion, impression produite, sorte de sympathie inspirée aux autres, le prestige dépend d'un don élémentaire, d'une aptitude naturelle qui échappent à l'analyse. Le fait est que certains hommes répandent, pour ainsi dire de naissance, un fluide d'autorité dont on ne peut discerner au juste en quoi il consiste et dont même on s'étonne parfois tout en subissant ses effets. Il en va de cette matière comme de l'amour, qui ne s'explique point sans l'action d'un inexplicable charme
Moscovici réplique. À la croyance en la potion magique il oppose le simple constat des faits. Dans l'Âge des foules (Fayard, 1981, p 498) il affirme : « les meneurs apparaissent comme une réponse à la misère psychique des masses »
En somme, l'homme heureux n'aurait pas de leader.
AUJOURD'HUI
Le temps est à la concertation, au consensus parfois, quelque peu mou qui camoufle les lieux de conflits en espérant que toute crise explosive sera évitée. Apparemment, le leadership est partagé, distribué. Comme les bénéfices sont supposés l'être.
De groupe d'innovation en cercle de qualité ou de progrès, chacun est invité à s'associer à l'oeuvre commune, à prendre part à la grande aventure de l'entreprise, à défendre la culture de la Maison, que menaceraient l'entropie ou des concurrents déloyaux. 
Badges et T. shirts siglés, stratégies dites de communication, primes offertes aux mieux disants et au mieux vendants (C. Lanciaux, Stratégie de la récompense, ESF, 1990) assignation d'objectifs personnels et pratiques d'évaluation qui semblent accéder à la transparence, toute une panoplie participative est mise en oeuvre, plus ou moins inspirée par le fond anthropologique du « capital humain ». 
En bref, trop bref, deux idées simples et liées paraissent avoir acquis droit de cité, à la reconnaissance sociale desquelles les personnalistes - et Carl Rogers plus particulièrement - ont fortement contribué.
- La première postule que tous les êtres humains sont doués, porteurs de potentialités différentes en fait mais équivalentes en droit, qu'ils pourraient développer pour peu que les conditions favorables existent.
- La seconde complémentaire de la précédente, les dit tous leaders possibles car nul ne peut, sinon par abus de narcissisme et d'autorité, s'imposer en permanence.
Lorsque tous sont coresponsables de chacun, de tout et de leur communauté il n'y a plus de meneurs présumés nécessaires car il n'y a plus de suiveurs obligés.
Peu à peu les travailleurs et les membres des groupes sociaux découvrent l'autonomie concertée.
 
En France, l'affaiblissement du militantisme syndical et politique traditionnel, la poussée écologique et individualiste comme la montée en puissance du basisme et d'un certain tribalisme moderne, que traduisent l'émergence mouvementée des collectifs et autres coordinations vont dans ce sens.
Nul n'a mieux titré cette évolution/mutation que Daniel Gluckstein, rassembleur d'un ouvrage collectif baptisé " Qui dirige ? Personne on s'en charge nous-mêmes "(Sélio, 1987). Une percutante profession de foi. Qui ne pouvait que provoquer le courant élitiste contemporain nourri de néo-darwinisme et de socio-biologie.
Pour ses tenants, la théorie du capital humain est par trop égalitariste et illusoire. Rien n'empêchera le Chef, naturellement fort, de l'être. Il lui faudra seulement, outre son charisme et l'autorité innée qu'il révèle, cultiver son ascendance par le biais de manipulations appropriées. 
Le leader savant apparaît, expert en propagande et intoxication, spécialiste compétent d'un psycho-sociologie dure et aliénante qui s'efforce à soumettre l'autre sans que celui-ci en ait conscience ou, mieux, en le persuadant qu'il est libre et seul maître des choix qu'il effectue et des décisions qu'il prend. Le leader savant se veut ignoré, inaudible et invisible. Ne serait-il pas néanmoins présent et agissant surtout quand nous semblons démontrer son absence ? 
DEMAIN
Cette gestion irrationnelle des personnels n'est que l'avancée molle de la leadertique.
Plus subtils et durs sont ses développements prévisibles liés aux génies informatique et biologique.
Du contrôle comportemental régulé par l'entremise de micro-électrodes implantées dans le cortex et destinées à stimuler ou inhiber telle ou telle zone cérébrale afin que soit produite -à distance et sans intervention du cybernéticien- la conduite désirée, à la mise en condition d'individus isolés ou de groupes sociaux importants par des techniques pointues auprès desquelles le classique lavage de cerveaux n'est que broutille, l'éventail des outils performants d'aliénation se déploie ( V. Packard, L'homme remodelé, Calman-Lévy, 1978)
Que penser - et ce n'est qu'un exemple - de cette aromachologie qui, depuis une dizaine d'années et dans un relatif secret, étudie et expérimente les effets des senteurs sur l'état physique et mental de l'homme ? (L'aromachologie, ou comment mener les gens par le bout du nez, Le Monde, 14 février 199
Retour au Greni-er à texte  -  Retour au management