La plupart des grabataires, dont l'univers se réduit au lit et au fauteuil, soignés à l'heure actuelle ont une invalidité « iatrogène » due à notre incapacité culturelle de nous appuyer sur les capacités restantes de la personne âgée (sans démarche de soins, nous ne voyons que les manques) et à notre paresse intellectuelle (l'idée reçue socio-professionnelle « il n'y a rien à faire », nous absout).
Si nous nous écartons un peu du schéma gériatrique (guérir la vieillesse) et que simplement nous souhaitions que le processus de vieillissement puisse permettre à la vie de la personne de s'accomplir jusqu'à la mort, nous allons quitter le perfectionnisme technique de la rééducation des adultes jeunes pour résoudre globalement le problème par une approche gérontologique : nous n'aurons jamais de champion olympique mais toujours des vivants en état d'humanitude.
Les pertes d'autonomie liées à l'alitement, voire à l'immobilisation au fauteuil, s'installent en quelques jours et évoluent d'une façon exponentielle : au grand âge l'équilibre physiologique, équilibre instable, bascule à la moindre brise. Pour pallier à ces pertes, les méthodes de prise en charge habituelles en postopératoire, voire en rééducation de syndromes neurologiques sont d'un perfectionnisme qui tue l'action en gériatrie.
Pour exemple nous citerons le cas de cet hémiplégique de 92 ans qui s'est vu refuser une verticalisation pourtant salutaire, à cause d'une contre-indication relevée par "un ingénieur en machinerie humaine" qui avait oublié qu'il était médecin : «possible survenue d'un récurvatum» ; trois ans près son A.V.C !
Valait-il mieux qu'il marche mal, ou qu'il ne marche pas du tout ? Assumer le risque de vivre debout, ou avoir comme objectif la certitude de le transformer en grabataire, objet de soins ?
Notre réponse sera celle que donnait déjà R.Grumbach en 1978 « Le syndrome d'immobilisation est l'opprobre de la médecine. La gériatrie est une médecine debout.».La personne âgée conserve suffisamment d'énergie et de capacités physiques pour aller jusqu'à son dernier jour debout, et assurer de courts déplacements aidés. Or ces trajets même courts ont un rôle majeur sur plusieurs fonctions de l'organisme : sensorielle, musculaire, retour veineux, ossification ; mais aussi image de soi, narcissisme.
La marche est une activité capitale : elle sollicite toutes les fonctions de l'organisme. Or l'utilisation des fonctions prévient "le vieillissement immérité, le vieillissement de surcroît".
- Un article indiquant que la marche prévient le déclin intellectuel est paru dans l'International Herald en mai 2001.
- Cette étude présentée par l'Association Américaine de Neurologie et portant sur plus de 6.000 femmes âgées de plus de 65 ans montre que les femmes qui marchent régulièrement et pratiquent un exercice modéré et régulier sont moins sujettes aux pertes de mémoire et aux altérations des fonctions cognitives et intellectuelles liées au vieillissement.
- Les capacités cognitives ont été mesurées à 8 ans d'intervalle chez ces 6.000 femmes et les chercheurs ont constaté que les capacités de concentration et de mémorisation étaient proportionnelles à l'intensité des exercices physiques pratiqués.
- «Nous nous sommes beaucoup focalisés sur les facteurs de risque qui peuvent provoquer ou accentuer le déclin cognitif mais nous commençons maintenant à mieux connaître les facteurs protecteurs cellulaires et biochimiques qui se produisent en fonction des améliorations de la forme physique. En fait notre cerveau s'avère bien plus plastique que nous le pensions et l'activité physique peut favoriser, par des mécanismes qui restent à élucider, les nouvelles connexions entre neurones.» souligne le Docteur Neil Buckholtz de l'institut national sur le vieillissement.
- L'étude en parallèle de l'effet de l'apesanteur chez les spationautes et de la non utilisation des fonctions lors du vieillissement, montre des similitudes. Des travaux en cours devraient déboucher sur des indications pratiques.
Rappelons quelques rôles connus mais oubliés au quotidien : la marche est si banale qu'on la sous-estime, ne lui attribuant aucune vertu "médicale".
Et pourtant, le système osseux, les cartilages, les muscles, les tendons et ligaments, la circulation veineuse, la ventilation respiratoire, l'équilibre, le système nerveux périphérique et le système nerveux central bénéficient de la verticalisation et de la marche, même si la marche à lieu à petits pas.
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Dépourvus de vascularisation, les cartilages se "nourrissent" grâce aux échanges d'eau avec les épiphyses osseuses. Ces échanges se produisent lors des phases mise en charge/décharge, facteurs observés au cours des mouvements mais surtout lors de la verticalisation et de la marche. Incidence sur les soins : la verticalisation et la marche sont favorables pour la conservation d'un cartilage physiologique. |
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Le retour veineux s'effectue entre autres grâce à la «pompe veineuse plantaire », important réseau de veines sous le pied dont le sang est chassé à chaque pas, ce qui lui donne la poussée suffisante pour monter jusqu'au mollet. À ce niveau la contraction du triceps sural va à son tour pousser le sang par action sur la veine, etc. Incidence sur les soins : La marche quotidienne est le principal moyen de prévention des phlébites du lit et du fauteuil. |
- L'alitement modifie de la répartition de l'eau (qui constitue environ 60 pour cent de la masse corporelle) dans l'organisme en augmentant son passage vers l'espace interstitiel. Ce déplacement liquidien entraîne une série de réactions rénales, hormonales et mécaniques qui règlent les concentrations en eau et en sels minéraux.
- « Le débit cardiaque diminue de 5 à 10 % si le sujet passe de la position couchée à la position debout. Ce fait est largement ignoré des soignants, en ce sens que beaucoup insistent pour que le malade reste à plat sur le dos, alors que le fait de l'asseoir réduirait réellement le travail de son coeur...» (P. Harichaux).
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La
verticalisation et la marche favorisent le recrutement des
unités motrices.
Le
nerf moteur, arrivé au voisinage du muscle se ramifie en
fibres terminées par une "plaque motrice" induisant la
contraction d'un faisceau de fibres musculaires. L'ensemble, plaque
motrice-faisceau musculaire, est appelé «
unité motrice ». |
L'appareil vestibulaire de l'oreille interne détecte les vatiations de position par deux structures : les canaux semi-circulaires (trois tubes emplis de liquide et tapissés de cellules ciliées reliées à des fibres nerveuses) et les otolithes (des cristaux de carbonate de calcium posés sur des cellules nerveuses).
a)
L'intelligence sensori-motrice.
Essentiellement physique au
départ, cette étape permet l'apprentissage de
l'espace, du temps, des gestes, la connaissance progressive de son
propre corps dans sa complexité interne et dans sa relation
au monde extérieur.
Les stimulations sont de deux ordres, extéroceptives et
proprioceptives.
b) L'intelligence conceptuelle.
S'appuyant sur les structures de
l'intelligence sensori-motrice, le concept est une image permettant
d'organiser les perceptions,
d'imaginer, afin de résoudre un problème
à partir d'éléments connus ou
conçus.
Chez la personne grabataire,
la stabilité des positions (au lit 12 heures, assis au
fauteuil 12 heures) éteint progressivement le
schéma corporel par diminution de l'intelligence
sensori-motrice. Ce qui entraîne une réduction de
l'intelligence conceptuelle (ou du moins de ses capacités
expressives). Le vieillard sera alors vu comme atteint de
désorientation spatio-temporelle, de perte
d'idéation, etc. Ce point d'arrivée
d'un manque d'utilisation des compétences sensori-motrices
est souvent confondu avec le point de départ d'une
pathologie (cela nous remet moins en question !).
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La raideur d'une articulation est souvent évoquée pour "ne rien faire"Éce qui augmente l'ankylose !
La physiologie articulaire, montre qu'il existe une amplitude minima de fonction, une amplitude utile et une amplitude de luxe.
Ce sont les arcs fonctionnellement utiles qui sont employés lors de la réalisation des actes de la vie quotidienne.
L'examen des amplitudes nécessaires pour réaliser les gestes de la vie quotidienne, permet de constater que les personnes âgées gardent les amplitudes nécessaires et suffisantes.
Nous précisons les amplitudes nécessaires et suffisantes.
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Le
polygone de sustentation est l'empreinte de la surface du
pied pour un patient qui ne dispose que d'un appui ; des deux pieds
plus la surface interpodale pour les autres.
Chez l'homme debout, le centre de gravité est légèrement en avant du promontoire sacré. Chez le sujet
âgé, le centre de gravité est
modifié par la position du corps incliné vers
l'avant, ou en extension arrière, ou penché sur
le coté. |
La marche avec soutien, donc avec soulagement du poids, est une hérésie en gériatrie car elle diminue l'information quand il faudrait l'augmenter. Malheureusement, le soutien du corps est un geste spontané du soignant non formé, geste qui condamne de nombreux vieillards fatigués à la désinformation sensori-motrice, laquelle ouvre la porte au syndrome d'immobilisme.
Les informations de saisies données par les soignants ne devront donc jamais se situer dans le dos de la personne aidée, mais au contraire favoriser le déséquilibre avant et le déséquilibre latéral alterné.
La vitesse d'exécution des pas est souvent un
moyen permettant de court-circuiter la peur et de retrouver la
mémoire de la marche souple.
Cette libération des problèmes de crainte est
obtenue par une impulsion alternée effectuée par
les soignants au niveau des saisies.
Une surveillance de la pression artérielle sera effectuée après les premiers pas. Après un bain ou un lavage en chariot douche, l'effort demandé sera diminué pour éviter un risque de malaise. En effet, la vasodilatation secondaire au bain risque d'entraîner un afflux de sang vers les pieds, augmentant le travail d'un coeur souvent fatigué.
L'aide à la marche chez la personne âgée ne vise pas que la recherche de l'autonomie de déplacement, nous venons de le voir. C'est un soin préventif et curatif.
Même pour des patients autonomes, elle reste parfois un soin de santé, sous la forme d'aide manuelle à la marche sur des parcours variés (escaliers, gravillons ...).
En ce sens cette aide n'est pas l'affaire de spécialistes, mais concerne tout le personnel de l'établissement d'accueil ; et les familles.Les études d'infirmières depuis le décret du 25 mars 1992 fixant programme, incluent l'étude de la marche, ainsi que la participation à la rééducation et à la réadaptation des personnes âgées.
- A - Effets systémiques de la verticalisation et de la marche
- B - La personne est valide si elle est capable de porter son poids
- C - Les amplitudes articulaires fonctionnellement utiles
- D - Particularités propres à la réhabilitation des personnes âgées
Mais comment aider au mieux ?